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Le Cliché, la métaphore et la digression dans Pompes funèbres et Un captif amoureux (Motivation de la figure filée dans les récits à référence historique) Patrice Bougon D ANS L’ŒUVRE NARRATIVE de Jean Genet,1l’inscription du politique et de l’histoire est surtout manifeste dans deux récits différents par leur genre. Le premier—Pompes funèbres, roman autobiographique2 —développe essentiellement son action dans la France occupée pendant la seconde guerre mondiale. Le second— Un captif amoureux3—se présente comme un témoignage consacré aux Black Panthers et au conflit entre Israël et les Palestiniens. Ces deux textes, comme le reste de l’œuvre, ont souvent été abordés d’un point de vue idéologique, thématique ou narratologique. Sans nier la pertinence de ces perspectives, il semble pourtant que la critique ait un peu occulté une part essentielle de ces récits, à savoir le travail qu’ils accomplissent sur les mots et sur les figures rhétoriques.4 En prenant en compte l’apport théorique de Barthes et de Riffaterre quant à la notion de style,5il s’agira d’indiquer comment ce qui apparaît comme un détail (un cliché, une métaphore) ou comme une digression se révèle, en fait, un mode d’inscription particulier du politique. Le type de lecture que je vais proposer se fonde sur l’idée qu’il y a une dominante de la fonction poétique6dans les récits de Jean Genet; c’est faute d’en avoir pris la mesure que la critique évite, le plus souvent, de s’interroger sur l’enchaînement des phrases et des paragraphes dont on ne souligne pas assez qu’il est fréquemment énigmatique. Les remarques de Barthes formulées à propos de Pierre Loti valent aussi pour la com­ position du texte de Genet: “ ... rompre le sens, rompre la construction (du monde, du rêve, du récit). En rhétorique, on appelle cette rupture de construction une anacoluthe” 7et “l’anacoluthe, qui est à la fois brisure de la construction et envol d’un sens nouveau” .8Une telle structure de la fragmentation oblige le lecteur à construire une syntaxe qui puisse rendre signifiants les syntagmes les plus sibyllins, dans la mesure où ceux-ci sont en attente d’une reprise ou viennent compléter—mais aussi parfois altérer—une représentation déjà lue. 70 Sp r in g 1995 Bo u g o n Les récits de Genet se caractérisent en effet par leur discontinuité nar­ rative, c’est-à-dire par la manière imprévisible dont s’articulent les séquences les plus hétérogènes aux niveaux thématique, spatial et tem­ porel. Tout mot peut faire événement, ouvrir une bifurcation, en droit interminable, dans le cours d’une description, d’une action, ou d’un développement réflexif. Etre attentif au travail des mots,9 c’est se donner les moyens d’analyser la poéticité de Pompes funèbres et à’Un captif amoureux qui problématise, voire affecte d’irréalité, la référence historique. Parmi d’autres formes de fragmentation du récit, j ’étudierais l’usage du cliché dans son expansion narrative, puis la métaphore filée dans son rapport à une modalité particulière de la répétition. Le choix de ces deux notions est déterminée par leur proximité formelle, le cliché que j ’ai choisi étant une comparaison (le genre dont la métaphore est l’une des espèces) qui déploie sa puissance sémantique par le biais d’une reprise. I. Le cliché, la digression et la trace de l’histoire—Dans le texte littéraire, le cliché1 0 peut avoir une double valeur contradictoire. Ou bien il est l’indice d’une indigence stylistique, ou bien à l’inverse, il se présente comme l’occasion d’une réactivation sémantique de ce qui semblait d’abord usé. Dans «La mythologie blanche»,1 1 Jacques Derrida nous aide à comprendre l’économie paradoxale de cette notion: la double portée de l’usure: l’effacement...

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