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Introduction L’Imaginaire utopique: paradigmes, formes et fonctions Lise Leibacher-Ouvrard et Peter Fitting L ’IMAGINAIRE, ON LE SAIT, EST AU POUVOIR dans bien des domaines, entre autres dans l’utopie. Mais qu’est-ce que l’utopie, outre un mot qui provoque souvent le sourire, quand ce n’est pas l’ironie ou le mépris? Le terme a eu en français une histoire agitée. Inventé par Thomas More en 1516, il est passé rapidement dans la langue, le Pantagruel {1532) de Rabelais l’utilisant le premier. Bien vite il ne s’agit plus seulement de renvois spécifiques au texte éponyme, et, en 1611, Cotgrave l’insère dans son dictionnaire. Paradoxalement pourtant, le mot n’est alors plus utilisé; le XVIIe siècle va l’ignorer,1 et ce, à l’époque où l’utopie fera clairement ses débuts littéraires en français. Un siècle plus tard, en 1715, Gueudeville avancera bien quelques néologismes (Utopier, s ’Utopier et s ’Utopianiser), pour introduire le texte de More qu’il traduisait. Mais l’Encyclopédie ne fera pas au Chancelier l’honneur d’un article, elle mentionnera Bacon et Campanella sans parler de New Atlantis ou de Civitas Solis, et ce n’est pas avant 1752 que l’utopie sera de nouveau épinglée dans les dictionnaires. Celui de Trévoux la définit comme une “région qui n’a point de lieu” , pour continuer, en 1771, de proposer que le mot “ (titre d’un ouvrage,) se dit quelquefois figurément, du plan d’un gouvernement imaginaire, à l’exemple de la République de Platon....” L’Académie Française, qui avait dit la même chose en 1762, précisera en 1798 que dans ce plan “ tout est parfaitement réglé pour le bonheur commun, comme dans le Pays fabuleux d’Utopie décrit dans un livre de Thomas Morus qui porte ce titre’’. Et d’ajouter: “ Chaque rêveur imagine son Utopie”. D’une certaine façon, l’ambiguïté du néologisme de More, tendu entre Ow-topie (pays de nulle part) et i?M-topie (pays où on est bien), était respectée, mais l’accent portait moins sur le politique que sur le chimérique, et c’est ainsi que l’utopie allait être fréquemment perçue par la suite. Ironiquement, à l’époque où le terme avait “ disparu” de la langue (au XVIIe siècle), les commentateurs avaient su où placer les utopies: Naudé par exemple, n’avait pas hésité à consigner le texte éponyme dans sa Bibliographie politique (fr. 1642). Mais lorsque le terme est Vol. XXXIV, No. 4 5 L ’E s p r it C r éa te u r “ redécouvert” (Funke 24) près d’un siècle plus tard, ce sont les textes eux-mêmes qui paraissent gêner. Ainsi, la Bibliothèque des romans (1734) de Lenglet-Dufresnoy inscrit les utopies louis-quatorziennes non dans sa catégorie “ Romans de politique” mais dans la section-balai des “ Romans divers qui ne se rapportent à aucune des classes précédentes” . Ainsi encore, différemment, Rousseau tient à ce qu’on ne place pas “le Contrat social avec la République de Platon, Utopie et les Sévarambes [de Veiras] dans le pays des chimères” (Lettres écrites de la Montagne). Les réactions ne sont pas toujours négatives. Kant recommande d’approcher de ce genre de “ doux rêves” basés sur la Raison; pour le Dictionnaire universel, la République des Ajaoiens (du jeune Fontenelle), “ toute supposée qu’elle est” , peut “ offrir quelques règlements utiles, applicables à l’un ou l’autre Gouvernement actuel” ; et c’est encore “ pour la perfection de l’administration” qu’il conseille L ’Histoire des Sévarambes.2 Mais comme l’a montré G. Benrekassa, en cette fin des Lumières, la “chimère” utopique est surtout ambigument reçue, jugée à la fois “nulle et subversive” .3 En dépit d’intentions louables, L.-S. Mercier Oui-même pratiquant du genre) n’aidera guère les choses en offrant le néologisme “fictionner” pour nommer l’acte de produire des utopies...

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