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Le centre ou les foyers? Claude Tannery A U CENTRE DU PARADIS, il y avait deux arbres, l’arbre de la vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.1Et Yahweh donne raison au serpent quand il dit “Voici que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Maintenant qu’il n’avance pas sa main, qu’il ne prenne pas aussi de l’arbre de vie, pour en manger et vivre éternellement” .2 Si le Paradis avait deux arbres en son milieu, il ne pouvait avoir la forme d’un cercle, ou d’une sphère, qui ne possède qu’un seul centre. Peut-être ressemblaitil alors à une ellipse engendrée par ses deux foyers, comme celles que par­ courent les astres, ou à un triangle qui, s’il présente une forme juste, regroupe en deux ou trois points seulement les quatre centres que possèdent les triangles quelconques. Plus que tout autre imaginaire, celui de l’Occident a été façonné par l’image ou le symbole du cercle et de la sphère, et par la quête de leur centre.3Figures absentes dans La Bible, le cercle et la sphère retrouvent dans la Byzance chrétienne le statut que leur avait donné Platon dans Le Timée et Le Banquet. Dante, lui, gravit les cercles du Paradis et Pascal reprend la phrase d’Hermès: “ Dieu est une sphère dont le centre est par­ tout et la circonférence, nulle part” , sans lui donner toutefois le sens pro­ fond qu’elle avait chez Hermès. A la suite de Dante et de Pascal, bien d’autres, et tout homme occidental peut-être, mais sans toujours le savoir, ont rêvé d’entendre la musique des sphères et d’accéder à leur centre. Après avoir analysé La Crise de l’humanisme, dont les deux tomes devraient faire partie des manuels de base de tout étudiant et de tout pro­ fesseur en Lettres françaises, Micheline Tison-Braun a montré dans Le Moi décapité que le problème de la personnalité, dans la Littérature française contemporaine, pouvait se lire comme une expérience du centre absent. Il était inéluctable qu’un jour l’homme de l’Occident en arrivât à cette expérience. Comment l’Occidental aurait-il pu échapper à l'expérience du centre absent alors qu’il est le produit d’une civilisation, d’une culture, qui ne possède aucun Centre du monde? Toutes les civilisations avant la nôtre avaient respecté leur Omphalos, ou leur Bétyle, ou leur Benben, et jamais Vol.XXXIV, No. 3 113 L ’Esprit C réateur les Athènes n’avaient cherché à usurper le rôle des Delphes. Rome a voulu être le Centre du monde alors que, dans l’imaginaire chrétien, le Centre du monde était au Golgotha. Mais Rome ne pouvait être un vrai Centre du monde; elle n’est pas une montagne sacrée; elle est une cuvette, entourée de sept collines peut-être, mais une cuvette quand même. Micheline Tison-Braun souligne aussi combien cette expérience du centre absent est liée à une “nostalgie de l’unité perdue” . Au Paradis, l’unité ne pouvait être perdue, elle y régnait, évidemment, et les deux arbres qui sont au centre du Paradis nous apprennent peut-être que l’unité est dans le deux, pas dans le un. Pendant des millénaires, des hommes ont vécu en voyant l’unité dans la journée, et des fractions dans le jour et la nuit qu’ils n’opposaient pas l’un à l’autre. Ils ont vécu en voyant l’unité dans le couple, et des fractions de cette unité dans l’homme et la femme qui le composaient. L’esprit occidental, lui, fonctionne sur des dualités comme le froid et le chaud, le jour et la nuit, le masculin et le féminin, le ciel et la terre, etc. Il voit chacun des deux éléments comme un tout, il l’oppose à l’autre, il oublie que cet...

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