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Par-delà les frontières (La Crise de l'humanisme en ex-URSS) Evguény Kouchkine B o u rs ie r d e th è s e en l i t t é r a t u r e fra n ç a is e à l’Université de Léningrad, j’ai découvert les publications de Micheline Tison-Braun en 1971, à la Bibliothèque Publique Saltykov -Chtchedrine. Le sentiment d’admiration qu’a provoqué en moi cette rencontre dure encore aujourd’hui. Comme tous mes compatriotes, je vivais alors dans un monde de “totalitarisme de gauche” qui, après une courte période de déstalinisation, s’est enfoncé dans la stagnation, un régime à l’idéologie sclérosée, miné par la corruption et la dissidence, mais pourchassant toute tentation d’expression libre. Certes, il n’y avait pas que du mal dans cette situation quelque peu farfelue (dans l’accep­ tion malrucienne du mot) et de bonnes choses se faisaient, mais toujours malgré la surveillance de services peu amènes, ou simplement à rencon­ tre d’une bêtise institutionnalisée. Or, les livres de M. Tison-Braun nous arrivaient d’un autre univers, un peu trop lointain pour mes amis et moi, mais finalement accessible grâce aux livres de l’Occident. Cet univers libre et prospère nous semblait quelquefois témoigner d’un excès même de liberté et de biens de con­ sommation. Le sujet de ma thèse portait alors sur les œuvres de jeunesse d’Albert Camus et le développement de l’existentialisme français; j’y mettais l’accent sur la formation intellectuelle et artistique de l’auteur de YEtranger, ses premières options d’écriture et ses maîtres à penser. Le premier livre de M. Tison-Braun que j’ai trouvé dans les catalogues de Leningrad, était La Crise de l’humanisme. Le conflit de l’individu et de lasociété dans la littératurefrançaise moderne (1890-1914) (Paris, 1958). A ma grande joie, il me proposait toute une mine de matériaux précieux reflétant l’origine du problème qui me paraissait central dans les écrits du premier Camus et surtout de ses maîtres—J. Grenier, A. Gide, R. Martin du Gard, ainsi que A. Malraux et H. de Montherlant. Il m’a semblé que tout vingtiémiste, à fortiori soviétique qui n’avait pas toujours accès aux résultats de la recherche occidentale, pourrait ytrouver un grand nombre de faits établis, vérifiés, et repensés par l’auteur. Cela représentait d’emblée un terrain d’investigation solidement balisé, et permettait au 58 Fa ll 1994 Kouchkine chercheur de rester sur ce sol constamment mouvant d’une époque déjà fort lointaine. Ce qui frappait à la première lecture de la monographie de M. TisonBraun , c’était son style—simple, clair et concis, rendant parfaitement la rigueur de la démarche analytique de l’auteur, l’art de ne jamais perdre de vue l’objectif principal et de mettre aussi en valeur un détail, d’éclairer le lecteur par un aphorisme heureux, une citation pertinente ou l’usage d’un registre ironique. Bien sûr, cette expression qui apportait tant de lumières aux lecteurs soviétiques sur les phénomènes de la psychologie sociale, à travers la littérature française, ne pouvait provenir que des solides connaissances d’histoire littéraire chez l’auteur formé dans l’esprit de respect pour les autres disciplines—philosophie, sociologie, psychologie, etc. Son érudi­ tion s’appuyait apparemment sur une mémoire prodigieuse façonnée à l’époque où l’école n’avait pas honte de développer la mémoire des élèves. D’autre part, on constatait que dans l’ensemble des grands courants de la pensée sociale, politique et esthétique de l’époque, ainsi que dans la diversité des événements historiques dans la France d’avant la guerre de 1914, M. Tison-Braun réussissait à détecter la signification de leurs trans­ formations chez les écrivains français les plus représentatifs. Elle saisissait la particularité de chacun d’eux, leurs portraits et caract...

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