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La ligne de démarcation Jean-François Fourny S ANS DOUTE POUVAIT-ON S’ATTENDRE, dès la Libération, à ce que l’épisode traumatisant représenté par l’Occupation et la Résistance s’inscrive de façon durable dans la mémoire collective des Français. Mail il ne s’agissait là aucunement d’un élément qui se serait simplement tapis dans les profondeurs de la conscience nationale et que la mémoire active se chargerait soit de convoquer librement, soit de censurer: au contraire, comme un souvenir obsédant l’épisode Occupa­ tion-Résistance n’a cessé de se prêter aux formes de rationalisation les plus variées et de se muer en un enjeu (sinon une arme) avidement con­ voités par les diverses forces intellectuelles et politiques. Si le mythe gaulliste de la Résistance (bien qu’il ait probablement été indispensable au relèvement moral du pays) tend à s’être beaucoup dissipé depuis quel­ ques années, les intellectuels français, jusqu’au milieu des années soixante-dix, ont tablé, tout autant que le personnel politique, sur l’imaginaire que la Résistance mettait à leur disposition. Et tout autant que les politiciens à qui ils s’étaient souvent alliés, les intellectuels avaient aussi des intérêts à protéger ou à faire valoir. Cet essai est ainsi consacré à trois moments (mais il y en a eu bien d’autres) qui ont permis aux intellectuels de chercher à s’approprier et à faire fructifier les enjeux sym­ boliques de la Résistance.1Cette réécriture en trois temps dans le con­ texte politique français s’étalant de la Libération à la fin du mandat de V. Giscard d’Estaing (1974-81) est représentée par: (1) le Pour Marx de Louis Althusser où une série de métaphores et d’allusions à l’Occupation et à la Résistance vise à discréditer les adversaires “ théoriques” d’Althusser de façon à peine voilée; (2) la Gauche prolétarienne (GP), premier mouvement politique qui allait énergiquement s’employer à soustraire au Parti Communiste Français (PCF) le monopole de la Résis­ tance au fascisme depuis qu’il s’était auto-proclamé “ parti des fusillés” en 1945; (3) la réinterprétation finale de la Résistance (avant que les his­ toriens n’en fassent depuis un phénomène bien plus modeste, marginal et tardif que l’on ne voulait le croire) par les Nouveauxphilosophes dans un contexte idéologique bouleversé par la publication de L ’Archipel du Goulag qui avait mis la question du “totalitarisme” à l’ordre du jour. Ce dernier moment reste inséparable du déclin électoral du PCF (suivant Vol. XXXIII, No. 1 53 L ’E s pr it C réa teu r l’effondrement du prestige de la société soviétique) et du glissement vers le “ centre” que V. Giscard d’Estaing essayait plus ou moins habilement de promouvoir avant que le pouvoir socialiste ne récupère le projet. Ces trois épisodes seront donc traités, dans les pages qui suivent, dans leur ordre de succession chronologique. Le dernier desesperado Quand L. Althusser publie son Pour Marx (1965), le PCF, pour des raisons de politique intérieure et internationale qui ne font pas partie de son discours officiel, a partie liée avec le régime gaulliste. Néanmoins, le communisme français se trouve face à deux dangers, l’un externe, l’autre interne. L’Union soviétique a rompu avec la Chine mais le modèle maoïste progresse de façon inquiétante chez les jeunes, si ce n’est à l’intérieur même du parti. A l’extérieur, le prestige du PCF est au plus bas, en particulier chez les intellectuels, alors que le structuralisme menace désormais de transformer le marxisme en une théorie dépassée sinon archaïque. On a, certes, beaucoup épilogué sur les critiques que Louis Althusser avait formulées de loin en loin envers la direction du parti, mais il n’en demeure pas moins que Pour Marx représente, à travers l’un de ses derniers intellectuels d’envergure (sinon le...

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