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Poésie, forme de vie (Jacques Roubaud) Elisabeth Cardonne-Arlyck D ANS UN TEXTE DATANT DE 1986 et intitulé “ Poésie, et l’extrême-contemporain” , Jacques Roubaud pose, au départ d’une série de quarante-neuf assertions, les suivantes: 3. La question contemporaine (elle n ’est nullement moderne), pour qui s’occupe du langage, dans le langage de poésie, peut s’énoncer ainsi: “ La poésie s’inscrit-elle encore dans l’univers matériel?” 4. Cette question pose celle de sa disparition: non pas seulement sa disparition en tant que papier, en tant que livre: en tant que décision personnelle possible, en tant que choix. 5. Il faut poser cette question, ne pas refuser de la poser, ne pas se hâter de tenir la poésie pour un hors-univers. Au rebours de fréquents modernismes, et post-modernismes, empressés à la nier. Ou à la désigner partout.1 Si le tour de l’interrogation est polémique (y incitait le sujet du col­ loque, L ’Extrême contemporain, pour lequel ce texte fut écrit), son enjeu ne l’est pas. Invalider, en les mettant dans le même sac, les antinomies en cours (modernité/postmodernité, avant-garde/tradition) vise à con­ tourner le champ de manœuvres qu’elles définissent, pour ouvrir la ques­ tion de la littérature, et de la poésie en particulier, sur son extérieur. Purement relative, la notion de contemporanéité rend tout découpage de la littérature actuelle, toute hiérarchie, aporétique (qui est plus contem­ porain que qui?). Elle déblaie le terrain pour un questionnement, non théorique mais pragmatique, sur les positions possibles de la poésie dans le contemporain de sa fabrication et de sa lecture, monde matériel public et privé. Or, nulle position n’est en apparence possible. La situation actuelle de la poésie elle-même est aporétique: 6. La difficulté est celle-ci, qui fait apparaître la question, aujourd’hui, comme para­ doxe, ou boutade: l’anachronisme de la poésie est radical. Entre la poésie et l’univers, nulle contemporanéité, semble-t-il, ne subsiste. Radicalement anachronique, la poésie n’est contemporaine d’aucun. Ce parti pris mallarméen (“ un présent n’existe pas... Mal informé celui qui se crierait son propre contemporain” 2) se trouve toutefois contredit par l’insistance à continuer de situer la poésie dans un univers où elle a Vol. XXXII, No. 2 89 L ’E s pr it C r éa teu r perdu toute place, par le refus du retranchement. En fait, ce qui assigne encore la poésie au monde, c’est cet encore où se dit le sursis: d’autant plus fortement assignée que sursitaire. Menacée et survivant, la poésie a dans ce monde qui l’annule une place exemplaire: 11. La poésie est l’extrême contemporain parce qu’elle pose le plus extrêmement aujourd’hui la question de la survie. La poésie, que sa différence d’avec les parlers dominants met en péril dans un monde accaparé par la technique, signifie, par sa position même, le péril universel de cet accaparement. Le renversement paradoxal, familier à Roubaud, se retrouve dans un texte parallèle de Michel Deguy: “ La poésie contemporaine [...] eut [...] à intérioriser ses échecs pour les retourner en paradoxe... [...] donc à méditer les différentes figures de l’échec paradoxal (celui qui n’est aucunement un échec)” .3Entre échec et survie a lieu le retournement, la possibilité de penser un futur, personnel, poétique, culturel. Pour Deguy, la position de la poésie face à ce qu’il appelle 1’“apocalypse de la technique” est d’ordre figuratif: “ Une tâche poétique est de (se) figurer la manière dont le monde va finir... de son temps” (34). Pour Roubaud, elle est homologique: la poésie répète, à l’extrême, la question de la survie. Tous deux s’accordent à lier en une triple interrogation la personne, la poésie, le monde, mais selon des rapports différents: Deguy à égalité et de front, en une...

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