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Yves Bonnefoy, l’image et la lecture du palimpseste: Passage dans l’opacité et la déchirure Dominique D. Fisher “ T ’APPELLERAI image [écrit Yves Bonnefoy] cette impression de I réalité enfin pleinement incarnée qui nous vient paradoxalement, de mots détournés de l’incarnation. Images, mondes-images, au sens, me semble-t-il, où l’entendait Baudelaire quand celui-ci écrivait, au milieu le plus tourmenté de son intuition poétique: ‘le culte des images, ma grande, mon unique, ma primitive passion’ 1 La définition que donne ici Bonnefoy enserre l’image dans l’atopos d’une esthétique oxymorique—“ incarnée” / “ excarnée” —qui depuis Baudelaire hante la poésie. L’image devient le lieu d’un irreprésentable, d’un anamorphique qui n’est pas seulement celui de la beauté baudelairienne , mais celui de la parole poétique même. La poésie pour Bonne­ foy entrant dans “ une incessante bataille [...] où la forme et le nonformel se combattront durement” .2 Depuis la modernité, l’image vouée à la perte d’aura ou de référence marque la parole poétique du sceau de la statuaire: elle est cet autre amour “ Eternel et muet ainsi que la matière” (“ La Beauté” ) dont parlait Baudelaire. Bonnefoy prenant pour point de départ l’image baudelairienne engage la poétique dans une critique du signe et de la figure. L’image au sens où l’entend Bonnefoy présente un statut référentiel incertain et instable. Inscrite à l’état de “ leurre” ou de “ seuil” , l’image ne permet plus d’atteindre comme l’avait déjà noté Blanchot “ la désig­ nation d’une chose, mais la manière dont s’accomplit la possession de cette chose ou sa destruction” .3 Bonnefoy à l’instar de Blanchot place l’image dans la dynamique même du pathos grec,4 c’est-à-dire de la présence absente ou de “ l’effet de présence” : “ l’oeuvre de poésie, est le lieu où la force d’excarnation portera d’abord ses ravages” .5 L ’image et la parole mensonge Depuis Baudelaire, la beauté en méduse moderne frappe la poésie de mutisme et de voyure.6 La beauté baudelairienne, empierréeempierrante , simulacre et tache aveugle, barre déjà le dire et le regard. On en retrouve la trace chez Bonnefoy dans Douve: “ son regard VOL. XXXII, No. 2 55 L ’E s pr it C réa te u r n’était qu’une pierre” 7et dans Hier régnant désert où la beauté se donne à lire comme “ la menteuse, la pourvoyeuse de ciel noir” .8Le mensonge est pour Bonnefoy tenu dans le corps même de l’image; son manque de transparence, son opacité: Tout poème, remarquons-le recèle en sa profondeur un récit, une fiction, aussi peu com­ plexes soient-ils: car la langue qui structure son univers ne peut que se cristalliser en apparences d’objets ou d’êtres qui entretiennent entre elles des relations signifiantes, où paraît la loi même qui a présidé à la création. (La Présence, p. 35) Enfermée dans la “ face qui ment” depuis le “ Masque” baudelairien, “ consignée” encore dans les “ merveilleuses images” de Rimbaud, car c’est encore en ce sens que Bonnefoy fait appel à l’image,9 la parole poétique reste cet appel ancré dans un lieu d’origine—la langue—qui est lui-même mensonge. Le mensonge étant, selon Bonnefoy, le “ manque de la langue et de la parole à dire” . C’est en ce sens que Bonnefoy dans Entretiens sur la poésie lit l’image du regard bleu “ qui ment” que Rim­ baud invoque dans “ Les poètes de sept ans” . Le regard bleu menteur ne réfléchissant pas seulement un abandon, une absence, en l’occurrence celle de la mère, mais celui du défaut du dire. L’image du regard innocent trompé par l’image réapparaît d’ailleurs chez Bonnefoy. Elle est comme l’a souligné Jean Starobinski10le signe de la rupture “ d’un premier état de plénitude” : “ l’altérité ontologique” inscrite...

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