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Jean Paulhan et le discours analogique Jan Baetens L ANGAGE E T SECRET—Dans tous ses textes, sans relâche, Jean Paulhan s’est interrogé sur les secrets du langage. Or, loin de ren­ fermer un mystère sur le mode d’un écrin, le langage lui-même est l’énigme à percer ou, plus exactement, à vivre, car connaître ne peut se faire ici que de l’intérieur et au terme d’un apprentissage. Comprendre le langage—et des Fleurs de Tarbes au Don, des langues l’idée fondamen­ tale ne bouge guère—, c’est faire l’expérience de sa nature inexorable­ ment scindée et curieusement homogène. Le mot, c’est à la fois le son et l’idée, le signe et la chose; l’image rhétorique est simultanément cliché et figure originale. Dans une telle perspective, il devrait être évident que les récits de Paulhan ne peuvent en aucune manière être coupés de ses recherches plus théoriques. La fiction n’est pas divertissement, mais se donne aussi des ambitions cognitives. Plus: il ne semble pas illogique d’y voir la version la plus authentique de l’entreprise paulhannienne, dans la mesure où le secret n’est pas désigné, puis circonscrit, comme dans les écrits de théorie, mais que sa quête est intensément partagée avec le lecteur. Le texte est en effet écrit de façon telle que le lecteur doive refaire, sous peine de rester au seuil, le travail accompli par l’écrivain au contact du langage. L’écriture, en effet, ne rend pas compte d’une révéla­ tion antérieure à la rédaction, elle la constitue. Comprendre, ici, c’est se faire écrivain. Avant tout, la leçon du secret est pragmatique: ce qu’elle autorise, c’est non pas un dit mais un faire. Le Guerrier appliqué, l’un des tout premiers récits de Paulhan qui décrit l’initiation d’un jeune homme à l’expérience de la guerre, fournira l’occasion de vérifier ces principes.1L’auteur même présente le livre de la manière suivante: Claude de Saint-Martin observe que l’homme ne parviendrait jamais à former une vue exacte et pénétrante du monde s’il n ’avait à sa disposition les maladies, les rêves, et diverses autres ivresses ou folies. Il faudrait ajouter: certaines entreprises d’ordre plus général, comme l’esclavage ou la guerre. On verra dans Le guerrier appliqué comment les tranchées, la mort d’un ami, une attaque assez maladroite peuvent apprendre à un jeune soldat ce que l’amour, le mariage, le travail et les autres distractions de la vie lui eussent enseigné plus négligemment.2 30 Su m m e r 1991 B a eten s Dans ce roman d’apprentissage dont la sobriété a intrigué plus d’un lecteur,3la venue d’un grand nombre de figures d’analogie peut paraître une faiblesse structurale, le seul effet d’une velléité belletriste ailleurs réprimée. En examinant la façon dont l’écriture paulhanienne déplace certaines divisions reçues du champ figurai et analogique, l’on tentera de montrer ici que la convocation de ces images a des enjeux en fait tout différents. Grosso modo, les énoncés analogiques se découpent suivant deux grands principes:4leur degré d’explicitation, d’une part, la présence ou l’absence d’une dimension figurative, d’autre part. L’actualisation linguistique de l’analogie connaît trois degrés d’extension: le degré maxi­ male de la glose analogique, qui explicite la mise en relation, soit sous forme subjective (“je compare x et y” ), soit de manière impersonnelle (“ il est possible de comparer x et y” ); le degré intermédiaire de la com­ paraison, qui se caractérise par la présence d’un relateur (“ comme” , “ pareil à” , “ ressembler à” , notamment); le degré minimal de la méta­ phore, qui ne souligne pas la relation entre les termes au moyen d’un marqueur spécifique, mais les joint dans une structure syntaxique donnée. L’activit...

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