In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

L’hyper-auto-représentation racinienne Richard-Laurent Barnett . . . on parle de murmures, de cris lointains, tant qu’on peut parler, on en parle avant, on en parle après, ce sont des mensonges, ce sera le silence, mais qui ne dure pas, où l’on écoute, où l’on attend. . . . —Samuel Beckett1 Le langage est pour lui la seule réalité, à la fois celle d’où il part et vers où il tend, dont il parle et qui lui sert à parler. —Jacques Bersani2 C ONSENTIR QUE L’ÉNONCÉ TRAGIQUE SOIT IMBU de sig­ nification, outrepasse le principe zérologique auquel le contraint la critique la plus radicale, c’est se retrouver à nouveau exégétiquement coincé, car l’objet signifiant ne cesse d’hésiter, résiste à vouloir dire, alors qu’il s’arroge le vertige séminal de son inadmissible forclu­ sion. Projet subversif, monstrueusement interstitiel, hanté par l’être inexpansif qu’il est autant que par celui, absent, qu’il ne sera jamais, l’écriture racinienne proclame, comme incongrûment, son irrépressible impuissance à re-présenter, la paradoxale et si bruyante impossibilité du même discours qu’elle ne cesse de proférer. Rien qui évoque en elle l’opacité pléthorique d’un en-soi: au contraire, une non-coïncidence essentielle avec ce qu’elle est, une inaptitude à se sentir comblée, et donc à nous combler, bref une distance, ou mieux peut-être un distancement, une distention de l’être qui constituent, douloureusement, son être même. Précisons, quitte à inférioriser le code surréaliste, que si “ le plus sûr des mutismes n’est pas de se taire mais de parler” ,3telle prescription pongienne scande un rappel: celui, non moins ancien que moderne, d’un effondrement de “ différence” , d’une fiction désireuse de dire que l’on— et ce que l’on—ne dira pas, n’est pas apte à dire. Or, loin que les figurations abouliques, inopérantes taisent, chez Racine elles progénèrent—comme inversement—la matière d’un tout autre discours. Loin de donner naissance au silence, elles prolifèrent un sonnant et indomptable langage. Bizarre connivence—nulle part dissolue: l’acte de dire l’indicible efface—tout en autorisant—l’impossi­ bilité de le dire. Car, la parole nomme l’innommable. A énoncer son absence, elle se rend et la rend d’autant plus présente. Donnée dans le 14 S u m m e r 1991 B a r n e tt geste de s’enfuir, dérobée dans celui qui la pose, elle parle pour se taire et se tait pour parler; parole qui ne s’effectue que dans la mesure où elle prétend s’effacer; qui se doit, pour apparaître dans toute sa plénitude, de se nier, de projeter, d’ébruiter sa propre annulation. D’où cette inépuisa­ ble réitération d’une rupture communicative (auto-extension continuée, poursuivie, extrudée au-devant d’elle) ne diffère point de celle, la même, qui s’acharne à se reproduire, à se repérer, à se représenter, bref à se dire.4 D’ailleurs, cet univers textuel est régenté par une telle et périlleuse scission: l’échec patent du dire accapare la seule substance du discours, se substitue à elle. Le paradoxe s’avère interminable. Rappelons—au préal­ able—le seuil paratextuel de Bérénice: si le premier syntagme, le premier emblème de la pièce (“ Arrêtons un moment” [469]),5comporte un appel à l’arrêt, telle imploration n’engendre qu’une espèce de continuité, un déluge langagier qui ne saurait se remettre sans que le drame ne tire à sa fin. A partir de cette invocation préambulaire du silence, tout le monde dira—le dire devient rituel, se commémore tant qu’il se récupère—tou­ jours, sans fin. Que ce soit impérativement prononcé (“ Va, dis-je” [469]) ou lâché sous une forme doublement interrogative (“ Pourrai-je, sans trembler, lui dire: ‘je vous aime?’ ” [469])—on le dira, et ceci, sans que ce le (prétendument référentiel) se concrétise ou se...

pdf

Share