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La belle infidèle aux Amériques: La vocation de Dona Marina, interprète de Cortés Marie-Christine Gomez-Géraud Dedicado a Maria Cortés estaba a caballo e D ona M arina junto a él. — Bernai Diaz del Castillo P OUR QUI PARCOURT la vaste bibliothèque de l’historiographie espagnole sur la Conquista, la rencontre avec les ombres surgies d’une histoire toute proche encore, mais vieille de huit siècles, celle de la Reconquista, est inévitable. Un même souffle anime le cœur des chevaliers et des conquistadores—rappelle Lôpez de Gômara lorsqu’il écrit: “ quand s’acheva la conquête des Mores commença celle des Indiens, afin que toujours les Espagnols luttent contre les infidèles” —et contamine la littérature des voyages au Nouveau Monde. Les idéaux chevaleresques et chrétiens se transportent aux Amériques, et l’on ne s’étonne pas, dans ces conditions, de voir frère Gerônimo de Mendieta insister sur le caractère évidemment providentiel d’Hernân Cortés; si le vainqueur de Mexico est né le même jour que Liither, c’est pour com­ penser l’action pernicieuse du moine de Wittenberg, celui-ci menant en Europe tant d’âmes à la perdition, celui-là amenant dans le giron de l’Eglise les peuples indiens “ si longtemps assujettis à Satan, prisonniers de leurs vices et aveuglés par l’idolâtrie” . 1Convaincue de sa mission, nourrie de l’épopée et enchantée des vers sans cesse remâchés des romances qui raniment l’antique foi d’une nation en sa propre élection et ressuscitent les fantômes des luttes contre les occupants infidèles de la péninsule, l’Espagne ne pouvait lire les événements survenant outreAtlantique qu’en se conformant aux modèles mythiques qu’offraient ces littératures.2 Ces filtres où se dissout l’expérience brute pour renaître nantie de sens fournissent, en partie, la trame d’un discours sur l’entreprise de la Conquista. Ils donneront ici l’occasion d’une lecture, celle de la figure de Dona Marina, l’interprète féminin qui accompagne Cortés dans sa marche sur Tenochtitlan. Souvent évoquée par la critique historique Vol. XXX, No. 3 5 L ’E sprit C réateur comme un acteur essentiel de la geste américaine, louée pour son rôle d’informateur fidèle, d’ambassadeur et de traducteur efficace, ou con­ spuée pour des qualités mises au service de la collaboration avec l’envahisseur,3 Doña Marina est rarement envisagée pour ce qu’elle est vraiment: le produit d’un discours qui organise les événements de l’Histoire afin de leur donner sens. C’est le rôle que s’assignent les textes historiographiques foisonnant tout au long du XVIesiècle parmi lesquels Cortés, Mártir d’Anghiera, las Casas, López de Gómara, Bernardino de Sahagún, Diaz del Castillo, Muñoz Camargo, Mendieta, Torquemada. Tous ceux-ci font allusion à la présence de Doña Marina aux côtés de Cortés, même si peu d’entre eux donnent au personnage le relief d’un actant à part entière. Les plus discrets des auteurs se bornent à souligner le rôle linguistique de la “ lengua” , qui, aux côtés de Gerónimo de Aguilàr, traduit fidèlement les propos de Cortés; truchement parfait dans sa transparence, Doña Marina occupe alors une place toute diaphane dans les textes.4Cependant, on le sait, la figure de l’interprète ne saurait se limiter à cette seule fonction. Les échanges linguistiques recouvrent d’autres enjeux: mise en relation entre deux cultures, pénétra­ tion du territoire.5 Doña Marina, dans la geste de la Conquista cesse d’être le simple truchement qui aplanit, le plus discrètement du monde, la route devant le guerrier. A la manière de la belle infidèle, personnage traditionnel des textes épiques médiévaux, elle agit aux côtés d’un con­ quérant qu’elle regarde comme un vainqueur. Sa féminité, tout...

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