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Le Sphinx Jean-Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues A U DÉPART DE CE TEXTE il y a la place essentielle que l’objet carte postale tient dans deux œuvres, un roman et un film, His­ toire' de Claude Simon et Les Carabiniers de Jean-Luc Godard. Le film est de 1963, le roman de 1967 (mais, dès 1964, sont publiés dans des revues des textes qui se retrouveront dans Histoire). En décembre 1966, dans le numéro des Cahiers du Cinéma consacré à “ Film et roman: problèmes du récit” , Claude Simon se montre peu convaincu par les films de Jean-Luc Godard qu’il considère comme ceux de Bergman et d’Antonioni “ trop entachés de ‘littérature’ ” , mais il ajoute: “ J’excepterais cependant Les Carabiniers, presque entièrement réussi” . Il ne s’agit pas de découvrir une “ source” à Histoire, mais d’accorder une valeur symptomatique à cette “ reconnaissance” du film de Godard, d’autant plus qu’elle se détache sur un fond de réticence marquée. Il n’est pas question non plus d’ignorer l’abîme qui existe entre une carte postale décrite à l’aide de mots et une carte postale montrée dans une image cinématographique. L’écart entre les deux reste infranchissable. Néan­ moins, deux créateurs de formes dans des domaines différents ont décidé presque au même moment d’utiliser l’objet carte postale comme élément essentiel dans la composition de l’une de leurs œuvres. Ceci est remar­ quable, comme le fait que le film ne vienne pas après le roman, mais le précède, même si c’est de peu. Godard déclarant en 1965 que l’on ne voit pas de sang dans Pierrot le fou, “ mais du rouge” ,2anticipe à sa façon l’introduction de Orion aveugle: “ Aucune goutte de sang n’est jamais tombée de la déchirure d’une page où est décrit le corps d’un personnage, [...] le mot sang n’est pas du sang” ,3 même si la couleur rouge et le mot sang font appel à Pintellection par des voies différentes. Claude Simon ne cesse de décrire dans ses romans des représentations figurées, dont les images peintes et les photographies ne constituent qu’une partie (il a aussi publié un livre de photographies, L ’Album d ’un amateur). Le cinéma, lui, ne décrit pas, il lui suffit de montrer. Le romancier constate d’ailleurs que “ la description est impuissante à repro­ duire les choses et dit toujours d’autres objets que les objets que nous percevons autour de nous” (Orion aveugle). D’autre part, comme l’écrit Jean Rousset, l’œuvre de Claude Simon est “ la contestation de l’im­ VOL. XXX, NO. 2 81 L ’E sprit C réateur mobilité propre à toute représentation figurée, qui s’accompagne d’une réduction de la distance séparant le spectateur de l’image contemplée, celui-ci allant jusqu’à se la rendre intérieure par une démarche de pénétration dans l’espace représenté” .'4 De là sans doute la discussion “ assez vive” qui opposa Claude Simon et Eric Rohmer en 1965. Selon le cinéaste, le romancier “ disait qu’il ne pouvait y avoir de cinéma moderne que si l’image était une image mentale, telle qu’elle est chez Resnais” .5 Le cinéma de Godard est évidemment aux antipodes d’une telle position: l’image n’y est pas “ mentale” , au sens où elle peut l’être chez Resnais. Le problème que pose Les Carabiniers n’est pas celui des relations qu’entretient, pour le romancier, sa description avec l’objet qu’il décrit, mais celui de l’identité brutale et naïvement postulée par les personnages du film entre le monde et ses représentations photographiques. Dans Histoire les cartes postales ne sont qu’une des modalités sous lesquelles apparaissent les illustrations décrites, parmi lesquelles des tim­ bres, des affiches, des couvertures de magazine, des billets de banque, etc. Les cartes postales...

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