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Les deux yeux de la chouette Note sur l’intervalle du cinéma et de la littérature chez Alain Robbe-Grillet Marie-Claire Ropars-Wuilleumier L E CINÉMA—sans doute est-ce là sa marque propre—s’est tou­ jours dérobé à une définition en termes de spécificité: la contrainte de l’appareil technique va de pair, en son cas, avec la malléabilité d’une esthétique ouverte à tous les emprunts. Et la parenté littéraire, devenue si prégnante aujourd’hui, ne comporterait aucune nécessité par­ ticulière si elle ne reposait sur l’éventualité d’un passage entre deux systèmes parallèles également accessibles à l’invention d’un même écrivain. C’est l’épreuve du va-et-vient, la possibilité offerte à qui écrit d’écrire selon une autre forme qui ont fondé, entre littérature et cinéma, l’hypothèse d’une communauté scripturale: le cinéma, comme la littéra­ ture, met en jeu l’écriture, ou du moins l’autorise; ce qui veut dire aussi que l’écriture, si littéraire qu’elle se donne en ses composantes, peut tou­ jours relever d’une appréhension de mode filmique. Suivant la règle d’impropriété évoquée ci-dessus, l’apparentement cinématographique précipite une érosion d’identité qui rejaillit sur la littérature elle-même. La différence, pourtant, ne disparaît pas dans l’assimilation; mais loin de se penser en termes ontologiques—opposant l’essence du cinéma à celle d’autres langages—elle dépendra d’un acte de différenciation, réglé par la seule logique d’une expérience en cours, selon laquelle l’écrivain cherche moins à redoubler l’exercice littéraire qu’à dédoubler, par le cinéma, la voie prescrite à la littérature. C’est le change et non l’être qui fait la différence; mais le passage suppose, quand ce ne serait que pour pouvoir être renouvelé, le mouve­ ment du retour. Impulsés tous deux par la provocation de Resnais, Duras et Robbe-Grillet ont tous deux obéi à cette loi de l’alternance: passer par le cinéma pour en revenir à la littérature; et se tenir, en littérature, dans la mémoire ou le projet de son détour cinématographique. Or le passage, chez Duras, a valeur de dépossession: écrire-cinéma, c’est répéter l’écrire littéraire et donc succomber à une réécriture que la pensée de Blanchot, si proche parfois de la pratique durassienne, inscrit au cœur même de l’écriture. Ecrire, dans l’optique et de Blanchot et de Duras, ce sera tou­ jours réécrire; et le supplément filmique ne fait qu’accélérer l’exigence 38 S u m m e r 1990 R opars-W uilleum ier d’une répétition qui écarte l’œuvre de l’unité, et la soumet à l’attirance du double. Filmer pour récrire, récrire pour détruire l’écriture, écrire pour en finir avec le film—telle est la règle inéluctable du vice-versa selon Duras. Rien de tel chez Robbe-Grillet, qui jamais ne répète littéralement un texte dans un film; malgré la circulation de figures semblables, parfois même homonymes, aucun désœuvrement, filmique ou littéraire, ne viendra retirer à une œuvre la propriété unique de ses traits. L’enjeu du passage, et de l’alternance qu’il suppose, se forme à l’inverse du cycle durassien: loin d’insinuer le même dans l’autre, en affectant la différence filmique au ressassement accru de la littérature, il s’agit au contraire d’affirmer la singularité de l’autre—ici le cinéma—en y cherchant comme le contrepoint de l’épreuve littéraire. Pas de système vocal, en ce cas, pour amplifier l’écoute de la voix narrative et l’entraîner vers l’aveuglement du regard; au contraire, un pari accentué sur la vue, mais pour en remodeler le cadre: face au redire durassien, c’est un refus de dire qui l’emporte dans...

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