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L’“écrit”, le jeu de la lecture et la mise en voix de l’écriture dans La Vie matérielle et dans Les Yeux bleus cheveux noirs Dominique Fisher S I LA VIE MATERIELLE présente à nouveau un visage “dévasté”, celui de l’alcool, un corps enflé de jouissance et une sexualité sans pudeur, le texte se propose moins de mettre à nu le sujet écrivant que d’interroger l’écriture dans ses rapports à l’oralité. Composé à haute voix et dicté à Jérôme Beaujour, La Vie matérielle tout en cherchant à exposer dans l’ivresse du dire—après la pudeur des textes antérieurs à L ’Amant—une “absolue subjectivité” , verse rapidement dans le défaut du dire. “L’écrit” , système d’écriture emprunt d’une tradition orale, ne se laissejamais enfermer dans l’espace physique du livre. Ravissement du sujet écrivant dans l’acte d’écrire, faux-semblant de présence, “praesens ” 1dirait Henry Maldiney, “l’écrit”, bute contre les silences de la voix, hors de l’œuvre: “Ecrire serait à l’extérieur de soi dans une confu­ sion des temps: entre écrire et avoir écrit, entre avoir écrit et devoir écrire encore, entre savoir et ignorer ce qu’il en est”.2 Dans Le Grain de la voix, Barthes montre que le passage du parlé au transcrit (ce à quoi correspond 1’“écrit” durassien) se fait par perte: perte de la voix, de la mimique, du geste, en somme de tout ce qui porte la marque du “corps extérieur” . La Vie matérielle engage l’écriture dans cette quête du corps perdu par l’opération de la lecture. Relisant à haute voix, épurant son texte, Duras pousse l’écriture vers un autre corps: celui qu’elle prétend mettre à nu, mais qui, s’ouvrant à nouveau sous la forme d’un corps écrit “inconvenant” 3 vide la narration de son contenu. L’effondrement de la subjectivité dans l’indéfini d’un “on” et l’inexprimable d’un “ça” (corps insaisi d’écriture)4ne livre au lecteur que le trajet arrêté d’un écriture auto-référentielle absorbant toutes les instances locutrices: “On se trouve comme dans une armure, rien ne passe plus de soi à soi, de soi à l’autre. Comment parler de ça, comment décrire ça queje connaissais et qui était là dans un refus quasi tragique de passer à l’écrit, comme si c’était impossible” (La Vie 31). L’“incon­ venance” de “l’écrit” devient celle du livre durassien, ce texte unique, sans cesse raturé, sans cesse recommencé dans l’espace de la lecture d’autres textes: L ’Eté 80, Le Ravissement de Loi V. Stein, L ’Amant, La 76 S p r in g 1990 F isher Maladie de la mort, Les Yeux bleus cheveux noirs. L’écriture de Duras, comme son cinéma et son théâtre, présente une rupture extrême entre l’être et le signe. Cette rupture qui dans le cinéma5 et le théâtre durassien spécifie le lieu de la voix, transparaît dans “l’écrit”. Ce que la voix accomplit sur scène: exclusion du personnage, rupture entre la parole et sa source d’émission, se retrouve dans les genres qui prétendent relever de “l’écriture du roman”—en particulier La Vie matérielle et Les Yeux bleus cheveux noirs—dans “l’écrit” et l’opération de la lecture. Tout se passe comme si “l’écrit” se réduisait à une inscription de la voix dans l’écriture, ou à ce que j’appellerai ici une mise en voix de l’écriture. L ’écrit et la théâtralité—L’insuffisance du dire, inscrit d’emblée “l’écrit” dans La Vie matérielle aux limites du genre: “Ce livre n’en est pas un” (7), “loin du roman mais plus proche de son écriture—c’est curieux du moment qu’il est oral—” (7-8). “Profondément dégagé de l’événement quotidien” (7), ni journal, ni récit autobiographique, le livre adresse au lecteur le parcours répété d’une écriture marquée par l’impossibilité de traduire et de rejoindre avecles mots le récit: “il restera...

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