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Ecrire Marguerite Duras I L Y A LE SCANDALE... qui est celui de la littérature. Je crois que la littérature est scandaleuse, parce qu’elle est rare et qu’elle rend les gens fous. Autrefois, je croyais, je l’ai dit pendant des décennies, que tout le monde pouvait écrire. Je l’ai chanté sur tous les tons. Je voulais le croire, je ne pouvais supporter l’idée que tout le monde n’écrivait pas, pouvait ne pas écrire. Je ne le crois plus. Je ne sais pas ce que c’est qu’écrire, du tout, mais je sais que tout le monde ne peut pas le faire. Je peux avoir une page écrite, là. On peut la lire. Elle est tang Mais je ne sais pas du tout ce qu’il y aura sur l’autre pageavant de l’aborder. C’est très aléatoire. Des fois, on a peur de mourir avant que la page soit pleine, parce qu’on sait quand même... on connaît les répères, on connaît l’événement auquel on veut aboutir, mais il faut amener letexte à ça. Il faut arriver, faire tout le voyage. Ecrire, je pense que c’est, effectivement, l’activité qui fait que la pensée de la mort est là chaque jour. On m’a dit que j’écrivais sur l’écriture. Mais je crois que tous les gens qui écrivent, écrivent sur l’écriture... C’est-à-dire que cette espèce de possibilitéindéfinie du mot, de l’image, du thème, de la mémoire, de l’amour,cela doit obstruer les gens, les gens qui n’écrivent pas. Il y a un choix qui s’opère, un choix organique qui s’opère et qui fait qu’il ne reste presque rien de la totalité des choses, du vécu, mais que ce presque rien devient irremplaçable, quand on écrit. Quand on n’écrit pas, je ne sais pas comment on fait, je ne peux l’imaginer, mais on doit avancer dans une forêt qui ne se ferme jamais, sur vous; parce que (là) quand on écrit, c’est la fôret qui se ferme; vous êtes pris dedans. Je crois qu’à force d’écrire, de vivre là, dans l’écrit, je suis arrivée à une sorte de monoculture, de mono-vie, de vie presque monotone, les accidents n’étant que les livres. 6 Spring 1990 D uras De ce point de vue là, je ne conseillerais pas aux gens d’écrire. Seule­ ment, ça n’empêche pas, que j’aurais voulu avoir six enfants, par exem­ ple; que je n’aurais jamais voulu habiter les villes; rester dans la famille de ma mère, dans le Nord. Etre au Nord. Ce sont des choses qui sont restées toute ma vie, qui sont encore là. Une sorte de nomadisme aussi. Pendant des années j’ai cherché des maisons à acheter; pour moi; pour partir. Des années, cela a duré. Pas trop loin, parce qu’il y avait l’enfant, puis mon mari. Mais je voulais partir. C’étaient quand même des choses qui n’étaient pas loin d’un dérègle­ ment mental. Mais je ne le ressentais pas comme ça, et c’était d’autant plus dangereux. Maintenant, non. Sauf d’ici, je voudrais partir d’ici. Avant de mourir, je voudrais partir d’ici, avant que je sois morte, que j’aie fait un autre appartement qu’ici, avec d’autres avantages. C’est à l’infini les conséquences d’une vie—qui est entièrement à l’envers, si vous voulez... C’est ce dont les gens, dont les femmes ne font rien qui m’est très cher. Propos recueillis par LUCE PERROT pour l’émission “AU DELÀ DES PAGES” Janvier 1988—TFI VOL. XXX, NO. 1 7 ...

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