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Dire l’inconnue “Sur les femmes” de Diderot Marie Brisson L ORSQU’EN 1772 DIDEROT PUBLIE sa recension du livre d’Antoine Léonard Thomas, Essai sur le caractère, les moeurs et l’esprit desfemmes dans les différents siècles,1il n’est certes pas le premier à tenter d’articuler le problème de la définition de la femme, à chercher à circonscrire la question de sa “nature” , ou encore à décrier la qualité de l’éducation qui lui est donnée, de même que la situation peu enviable qui lui est réservée au sein de la société.2Aristote avait déjà amorcé la réflexion sur la femme, pour en conclure qu’elle ne constituait somme toute qu’un homme imparfait, définition qui se perpétue tout au long du Moyen-Age et dont la présence se fait encore sentir au XVIIIe siècle. Par la suite, l’abondance des textes médicaux, surtout à partir de 1760,3témoigne de la persistance de la réflexion sur les femmes, mais révèle cependant un parcours différent. C’est une nouvelle vision de la femme qui va s’imposer: non pas une vision centrée sur des débats théologiques ou historiques, mais une vision maintenant modelée par les préoccupations de la science. En outre, est-il nécessaire de rappeler que la “Querelle des femmes” se prolonge avec plus ou moins de dynamisme depuis le XVIIe siècle? Lorsque paraît “Sur les femmes” de Diderot, textes à la misogynie plus ou moins subtile, traités médicaux (en par­ ticulier sur l’hystérie), et apologies du “beau sexe” forment un ensemble de textes de plusieurs centaines de titres.4 Au moment où Diderot ajoute sa voix au débat sur les questions fémi­ nines, deux courants principaux se partagent le champ de la réflexion sur les femmes. Menées en grande partie par les Encyclopédistes, les polémiques réformatrices dénonçant l’anémie de l’éducation féminine et l’injustice sociale dont les femmes sont victimes battent leur plein, tandis que c’est l’hystérie qui fournit aux médecins un des arguments fonda­ mentaux aux nombreux écrits qui foisonnent à l’époque concernant les innombrables affections et troubles féminins.5 “Sur les femmes” se fait en partie le reflet de ces préoccupations con­ temporaines, les femmes étant en effet, affirme Diderot, “ [...] plus con­ traintes et plus négligées dans leur éducation [...], réduites au silence dans l’âge adulte” (II: 257), position fidèle aux condamnations 10 Fa ll 1989 Brisson prononcées par les critiques, hommes et femmes, de l’instruction réservée aux femmes. Diderot se joint en outre à un bon nombre de médecins célèbres en déclarant les femmes en proie avant tout à une hystérie envahissante et dont les manifestations varient en apparence et en intensité. Hystérie, entendue dans le sens étymologique du mot, celui de la manifestation à la fois physiologique et psychologique de l’utérus sous la forme de dérègle­ ments morbides des sens, physiques et mentaux: “La femme porte audedans d’elle même un organe susceptible de spasmes terribles, disposant d’elle, et suscitant dans son imagination des fantômes de toute espèce [...] c’est de l’organe propre à son sexe que partent toutes ses idées extra­ ordinaires” (II: 255). Cette définition, qui met en corrélation les défini­ tions de la femme et celle de la maladie, correspond à la vision des médecins de l’époque, Sydenham, Whytt et Tissot,6entre autres, posi­ tion dont Michel Foucault7a dévoilé la logique qui voudrait que “tout le corps féminin [soit] sillonné par les chemins obscurs, mais étrangement directs de la sympathie [...et que] d’une extrémité à l’autre de son espace organique, il enferme une perpétuelle possibilité d’hystérie” . La femme, malade en puissance, ne peut se définir en-dehors de la pathologie, fûtelle éventuelle. C’est donc à deux niveaux que “Sur les femmes” situe les afflictions féminines. Les...

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