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Cantique de Saint-Just Denis Hollier L A CRISE INTERNATIONALE qui leur sert de toile de fond a donné à certaines manifestations du 150e anniversaire de 1789 l’allure d’acrobaties intellectuelles dont on trouverait un assez bon exemple dans le numéro spécial—paru au moment de la déclaration de guerre—de La revue philosophique. Consacrée en grande partie—avec l’article de Martial Guéroult sur Fichte et celui de Jean Hyppolite sur Hegel—à la philosophie allemande de la Révolution française, cette pub­ lication semble bizarrement décentrer l’événement, dépossédant de ses origines la République, comme si le sens et la vérité de son mythe fon­ dateur lui avaient, dans tous les sens du mot, échappé. Comme si ce n’était plus les ennemis de la Révolution, mais la Révolution elle-même qui avait fini par émigrer, et que, au moment même où la seconde guerre mondiale éclatait, les héritiers authentiques des soldats de l’an II étaient parmi ceux dont les armées et la pensée menaçaient le sol national. L’association du message révolutionnaire et de la menace allemande n’était pas une idée nouvelle. Il y a longtemps que (entre autres) Maurras les avait assimilés, dénonçant dans leur collusion la clé de toute l’histoire moderne. Mais, dans son équation, la France n’était pas exportatrice: la Révolution, pour se faire passer pour française, est entrée en contre­ bande par la Suisse (de Luther à Robespierre, le passage se fait par Rousseau), mais elle reste made in Germany. L’exaltation patriotique de 1789 dissimule donc la première occupation allemande: le concept absurde de révolution française n’est qu’une contrefaçon sous couvert de laquelle, depuis plus d’un siècle, un virus étranger contamine l’héritage national. C’est pour affronter cette situation que Maurras a bâti l’Action Française, première organisation de résistance: “ Parce que le Barbare [l’Allemand] s’était appliqué à l’enivrer de son poison avant de se jeter sur elle [la France], nous fabriquions et propagions l’antidote,” écrit-il dans l’introduction à Devant l’Allemagne éternelle. Gaulois, Germains, Latins. Chronique d’une résistance, 1un volume dans lequel en 1937 il republie les plus virulents de ses articles antigermaniques de l’époque de la première guerre mondiale. “ Le livre qu’on va lire, continue-t-il, est la simple chronique de notre résistance morale et mentale avant la guerre de 1914” (p. viii). 74 S u m m e r 1989 H o llie r L’Allemagne de Maurras pourrait être décrite comme une Allemagne, avant la lettre, existentialiste: c’est une nation qui ek-siste, refuse de se laisser définir, de se laisser contenir par une définition, elle est toujours hors de soi, n’est ce qu’elle est, aurait dit Sartre, que sur le mode du ne pas être. Avec son instabilité insatiable, sa voracité nomade, l’Allemagne n’a pas (ne se reconnaît pas) de frontières: être, c’est se dépasser. Si elle a besoin de limites, c’est pour les transgresser. Le surhomme est un être des lointains. Son être n’est qu’appétit (insubstantiel), volonté de puissance (infinie), impatience (sans objet). La politique internationale de Maurras s’ensuit. Une formule la résume qu’on trouve dans la lettre ouverte “ Aux républicains de Russie” où, en 1917, il développe ses vues sur l’Europe d’après-guerre: “ la dis­ solution de l’unité allemande s’impose” (p. 299). Il est impératif que l’Allemagne, aussitôt défaite, soit replongée dans “ l’état de division qui la rendit longtemps inoffensive” (p. 317). Assimiler l’Allemagne en effet n’est pas un sort plus sûr, plus désirable qu’être assimilé par elle: les armées allemandes et la révolution dite française sont deux versions, l’une interne l’autre externe, de la même catastrophe. Une seule solution: que l’Allemagne se désassimile, étrang...

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