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Le Tribun, ou le Comédien de l’échafaud, mélodrame révolutionnaire Julia Przybos La guillotine est l’instrument du partage entre les bons et les méchants. —François Furet L ONGTEMPS OPPRIMÉ, le théâtre renaît sous la Révolution. Voilà qui n’est plus à prouver: les critiques qui l’affirment sont légion. Les uns examinent l’essor du spectacle, d’autres tirent au clair l’aspect théâtral des événements, d’autres enfin se penchent sur l’univers révolutionnaire où s’emboîtent le monde réel et le monde théâtral. Ils y étudient le passage de la réalité à la représentation, le glisse­ ment de la vie politique à l’illusion des tréteaux.1 Le théâtre et la Révolution vont de pair. Vérité trop générale pourtant qui appelle des précisions. Car, s’il y a spectacle—tragédie, pantomime, comédie, vaudeville—de quel genre théâtral s’agirait-il ici? Sur quel mode dramatique se joue la Révolution? Genre? Mode? Je vous vois hésitant... La tragédie? Erreur. Le drame? Vous n’y êtes pas encore. La farce? Vous n’y êtes toujours pas. Non, s’il est un genre que la Révolu­ tion préfigure, c’est le mélodrame. * * * Le mélodrame et la Révolution! Le premier choc passé, abordons franchement le problème. Quelles affinités déceler entre un art naissant et l’époque qui l’a vu naître? Bien des critiques se bornent à constater que le mélodrame prend son essor pendant la Révolution et qu’il partage avec elle le goût des gestes démesurés et des émotions fortes: le pathétique sur les planches du Boulevard du Crime “ ne répond que trop à l’horreur de certains moments de la Révolution.” 2 D’autres, plus audacieux, ne se contentent pas d’évoquer l’esprit du temps. Loin d’être une simple coïncidence, la rencontre de la Révolution et du mélodrame leur semble nécessaire, voire providentielle. “ Ce qu’il y a de certain, c’est que dans les circonstances où il apparut, le mélo­ 16 S u m m e r 1989 P rzy boS drame était une nécessité.” “ [...] à cette époque difficile, [...] il y avait dans l’application du mélodrame au développement des principes fonda­ mentaux de toute espèce de civilisation, une vue providentielle.” 3 D’autres critiques enfin abordent de front ou de biais l’épineuse ques­ tion des origines. Marvin Carlson: “ De ces vingt années (1787-1807) de douloureux enfantements étaient nés des théâtres nationaux bien vivants et mieux organisés, une scène de boulevard bien adaptée à l’époque et plusieurs nouveaux genres de spectacles [...].” 4 Parmi ces spectacles, le mélodrame est de loîn le plus important. Pour les férus de généalogies, le mélodrame est enfant de la Révolu­ tion. Claire en apparence, cette formule est en fait ambiguë. De quel enfant s’agit-il? D’un enfant illégitime? D’un enfant naturel jamais reconnu? D’un fils prodigue qui aurait dissipé le trésor des idéaux révolu­ tionnaires? Illégitime, naturel, prodigue—de tels qualificatifs peuvent étonner. Ils sont pourtant nécessaires, tant cette parenté paraît suspecte: la progéniture ressemble peu ou pas du tout à la génitrice. Les pièces d’un Caigniez et d’un Pixerécourt sont sous-tendues par une idéologie non pas progressiste mais conservatrice, voire réactionnaire. Le mélodrame embrasse, à ses débuts, les valeurs traditionnelles et offre au public le tableau d’un corps social harmonieusement hiérarchisé. Il se garde de parler de ses parents présumés: les événements politiques n’y sont pas mentionnés, la tourmente révolutionnaire est soigneusement occultée. Pour le mélodrame, la Révolution française n’a pas eu lieu.5 Curieux silence qui pourrait en dire long sur les rapports entre parentR évolution et enfant-mélodrame. Curieuse absence qui trahirait le désir d’effacer une...

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