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Diderot et la philosophie du clair-obscur Serge Trottein Q U’EST-CE QUE LES “ LUMIÈRES” ? Le premier à répondre explicitement à cette question et à donner une définition de ce qui, en allemand, se nomme Aufklärung, fut Kant. L’Aufklärung, c’est l’émancipation de l’humanité. Sans les Lumières, l’homme n’est qu’un enfant, un mineur, incapable de se servir de son propre entende­ ment sans se soumettre à la conduite d’autrui. Or cet état de soumission, d’impuissance, de minorité intellectuelle qui définit l’absence de Lumières, il en est responsable: ce n’est pas par défaut d ’entendement, mais par manque d’audace qu’il reste mineur. Les Lumières, ce n’est pas simplement une question de connaissances ou de vision, mais une ques­ tion de courage, de volonté. Il ne suffit pas de voir ou de savoir—ce qui est donné à tout le monde—, mais de vouloir, et d’oser. Question non pas, seulement, théorique, mais pratique. L'Aufklärung, ce n’est pas la sortie des ténèbres; sans doute vivons-nous entourés de ténèbres, mais nous sommes tout autant entourés de lumières. Le problème n’est pas là; il vient de ce que par lâcheté ou paresse nous refusons de voir ces lumières et d’en reconnaître la clarté diffuse parmi les ombres de la caverne. “Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entende­ ment!” , telle est en définitive, nous dit Kant, la devise des Lumières. Nous sommes en décembre 1784, Kant a soixante ans, et il vient seule­ ment de commencer son œuvre critique, alors que depuis un peu moins de six mois déjà Diderot n’est plus. Est-ce la fin des Lumières? Ou seule­ ment le commencement d’une fin? Et, plus généralement, qu’en est-il, i dans tous les sens du terme, de la fin des Lumières? En vue de quoi et à quelle(s) fin(s) parler encore des Lumières? Tel sera l’horizon des réflexions qui suivent. * * * Mon intention n’était pourtant pas de vous conduire parmi les brumes de Königsberg, mais de me promener avec vous à Paris, dans quelque parc, au moment, précisément, où la lumière commence à décliner, ou bien, si le temps ne s’y prête, dans quelque Salon—ce qui, nous le verrons, revient au même. Et si vous le voulez bien, puisque c’est VOL. XXVIII, NO. 4 107 L’E SPRIT C RÉATEUR là la condition même des Lumières, je vous ferai partager quelques-unes des lumières que j ’ai rencontrées lors de ma dernière promenade parmi les écrits du Philosophe, et qui ne sauraient être les miennes, puisqu’à nouveau, il suffit de vouloir les y reconnaître dans la masse touffue de ses pensées. “ Pensées sur l’interprétation des Lumières” , ou “ mes petites idées sur les Lumières” : voilà qui pourrait également servir de titre à ces réflexions, pour parodier ou accompagner d’abord quelques-unes des Pensées sur l ’interprétation de la nature de 1753, avant d’en arriver aux “ petites idées” de Diderot “ sur la couleur’’ et à ‘‘tout ce que j ’ai compris de ma vie du clair-obscur” —titres, respectivement, des deuxième et troisième Essais sur la peinture de 1766. A moins qu’il ne s’agisse aussi d’un “ paradoxe sur les Lumières” . Il me semble en effet qu’en persistant à réduire le siècle des Lumières à une époque où la raison et la vérité triomphent de l’erreur et de la superstition, ou à se représenter the Age o f Reason en termes (roman­ tiques) de combat de la lumière et des ténèbres, nous ne faisons que prouver combien nous avons échoué à nous libérer de la mythologie posi­ tiviste et scientiste, qui fait que malgré les apparences la plupart d’entre nous vit toujours au dix-neuvième siècle. Parler...

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