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Naissance de Claude Simon consécration et légitimation d’une œuvre littéraire Claud DuVerlie D ANS UN OUVRAGE RÉCENT, Alain Viala établit que c’est au XVIIème siècle, à travers les salons, les académies et le mécénat, que la littérature s’érige en institution et que la qualification d’“écrivain” devient un fait essentiellement social. La naissance d’un écrivain date du moment où il est reconnu, passe au rang d’institution en devenant un élément fondamental des programmes scolaires.1L’écrivain demeure avant tout une construction sociale. Dans le cadre de la sociologie de la production littéraire, cet article se propose une réflexion sur la naissance de Claude Simon comme écrivain d’une œuvre majeure de notre époque. Cela revient à vouloir éclairer une période de gestation particulièrement longue qui va assez abruptement déboucher sur la consécration et la légitimation d’une œuvre littéraire. L’histoire de la littérature n’offre que des trajectoires qui se caractérisent (rétrospectivement, cela s’entend) soit par le gradualisme et la réussite progressive, soit encore par une succession de hauts et de bas qui peuvent encore s’orner de détours plus ou moins nombreux. Il aura fallu de nom­ breuses années avant que l’on reconnaisse pleinement à Simon le titre d’“écrivain” . Et il aura fallu encore beaucoup plus de temps pour légitimer sa production et assurer la consécration. En fait, on pourrait avancer qu’il n’aura fallu pas moins que le prix Nobel in 1985 pour imposer définitivement Claude Simon dans l’histoire littéraire. Il suffit de survoler quelques articles parus dans la presse à grande diffusion pour se rendre compte du degré de résistance qui a entaché la reconnaissance de cette production littéraire: “Simon sort du désert” titre Le Nouvel Observateur (25-31 octobre 1985), et L ’Express (1er novembre 1985), encore sous l’emprise de la détraction, évoque “L’Affaire Claude Simon” . Si la décision de l’Académie royale de Suède a provoqué une belle surprise à l’étranger, elle a réussi, par contre, à susciter une atmo­ sphère de controverse en France. Les remous furent assez forts pour que Simon les relève dans son Discours de Stockholm: “à l’annonce de ce dernier Nobel, le New York Times interrogeait en vain les critiques américains et [...] les médias de mon pays couraient fébrilement à la recherche de renseignements sur cet auteur pratiquement inconnu, la Vol.XXVII, No. 4 61 L ’E sprit C réateur presse à grande diffusion publiant, à défaut d’analyses critiques de mes ouvrages, les nouvelles les plus fantaisistes sur mes activités d’écrivain ou de ma vie—quand ce n’a pas été pour déplorer votre décision comme une catastrophe nationale pour la France” .2Ce compte rendu dont le ton est celui d’un homme blessé relève du même coup ce qui est devenu deux adages de la pratique littéraire: 1) le divorce entre la littérature pour littérateurs et les goûts du grand public et 2) le caractère transactionnelle de la notion d’écrivain: “Définir qui est ‘écrivain’ à une époque donnée revient à trancher les conflits qui ont opposé les littérateurs eux-mêmes sur la définition légitime de la littérature” .3 La situation de méconnaissance, et de relative controverse, dans laquelle Simon reçoit le prix Nobel constitue une preuve irréfutable, s’il en est, du travail d’instances médiatrices entre l’œuvre et le monde social. L’histoire de la littérature montre que les académies—institutions lit­ téraires—ne font en général que ratifier l’ensemble des verdicts publics lors d’un processus de consécration qui transforme le succès littéraire (éphémère) en valeur sociale (perenne), or, par contraste—et de manière pour ainsi dire inverse—Claude Simon s’est vu décerné la consécration suprême malgré un capital de succès littéraire plutôt restreint. Un tel...

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