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Prolégomènes à une étude du statut de l’appareil liminaire des textes littéraires' François Rigolot Simulant la post-face, la récapitulation et l’anticipation récur­ rente, l’auto-mouvement du concept, elle [la préface écrite] est un tout autre texte, mais, en même temps, comme “ discours d’assistance” , le “double” de ce qu’elle excède. Jacques Derrida2 L A NATURE ET LA FONCTION de l’appareil liminaire des textes littéraires (préfaces, introductions, ouvertures, prologues, avis, avant-propos, poèmes d’escorte ou pièces d’encadrement) font l’objet depuis quelques années d’analyses critiques dont l’enjeu ne saurait être sous-estimé. Récemment Gérard Genette a proposé de donner le nom de paratexte à l’ensemble de cet appareil d’accom­ pagnement du texte (“ titre, sous-titre, inter-titres; préfaces, postfaces, etc.” ) en rappelant que c’est là “ un des lieux privilégiés de la dimension paradigmatique de l’œuvre, c’est-à-dire de son action sur le lecteur.” 3La préface, ou plus généralement le discours préfaciel (et nous aurons à nous expliquer sur ce mot “ discours” ), est la pièce-maîtresse de l’appareil paratextuel qui escorte le texte proprement dit. Par là elle semble avoir au moins trois fonctions principales. Tout d’abord, dans la tradition rhétorique occidentale, elle sert d’ornement au livre qu’elle “ décore” . Véritable métaphore architec­ turale du monument littéraire, elle forme une sorte de portique en saillie, escarpement artificiel particulièrement décoratif dont aucun ouvrage ne saurait se passer. Qu’elle soit longue ou courte, la préface occupe le seuil de l’édifice intellectuel que le lecteur s’apprête à franchir: sorte de vesti­ bule initiatique où les “ happy few” accèdent au “ Saint des Saints” de l’espace textuel. En un sens, la préface est un lieu de passage, une transi­ tion nécessaire entre le monde chaotique de la vie extérieure et l’univers sacré de l’expérience littéraire. En second lieu, la préface se propose d’annoncer la vérité du texte qu’on va lire et dont le titre a déjà servi à attirer l’attention du lecteur. Elle sollicitera donc la bienveillance du public dont elle cherche à gagner l’adhésion ou, au contraire, provoquera la curiosité, voire l’indignation, VOL. XXVII, No. 3 7 L ’E sprit C réateur des lecteurs rebelles pour les inciter, avec ou sans ironie, à engager un dialogue avec cette fiction dont elle est le signe avant-coureur. Annoncer le texte consistera aussi à déjouer la censure—surtout aux époques où elle veille jalousement et pour les ouvrages qui risquent de troubler singulièrement la morale ou l’ordre public. La préface étant, de ce point de vue, un genre codé, il va sans dire qu’au cours des ans—et dans le sillage d’une même tradition littéraire—les auteurs deviennent très con­ scients des poncifs du discours préfaciel. Les avant-propos et les aver­ tissements peuvent alors devenir singulièrement ironiques et “ autor éflexifs” . Qu’on pense au chemin parcouru, par exemple, depuis l’“ Avis au Lecteur” de Montaigne jusqu’à la Préface de La Nausée, en passant par les liminaires de Manon Lescaut et de Candide. Ici il est nécessaire de considérer l’horizon d ’attente du discours préfaciel pour dégager la pertinence de son originalité.4 En troisième lieu, la préface a pour mission de communiquer un savoir. Elle situera le cadre spatio-temporel de l’ouvrage, procurant des renseignements plus ou moins importants sur les aspects historiques, rhétoriques et stylistiques de la fiction qui s’annonce. Tel préfacier se référera à une expérience personnelle d’auteur pour justifier la démarche du romancier; tel autre brandira la raison d’Etat ou des raisons moins autorisées pour faire admettre l’urgence du message qui est inscrit dans le livre; tel autre encore renverra à la tradition littéraire pour accrocher son propre ouvrage à une lignée honorable qu’on aurait tort...

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