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Machinations formelles: sur l’Oulipo Jean-Jacques Thomas ELUI QUI S’EST UN PEU FAMILIARISÉ avec les techniques informatiques sait qu’il faut d’abord de nombreuses heures de pratique avant de savoir utiliser parfaitement un logiciel. Dans bien des cas, cet apprentissage de l’utilisateur est facilité par un fichier électronique spécial, hors programme, appelé README.DOC: docu­ ment préliminaire, à consulter expressément avant toute utilisation effec­ tive. Le nom est devenu générique et on le trouve comme fichier introductif sur de nombreuses disquettes de logiciels, en France et aux EtatsUnis . C’est en quelque sorte la version informatique des anciens “ Avis de l’éditeur” , “ Avis de l’auteur” , “ Préface” , “ Prière d’insérer” , “ avertissement” , que l’on découvrait au premier contact avec les objets de la civilisatioan du livre; toutefois, l’analogie avec le “ Mode d’emploi” conviendrait mieux à ces README.DOC. On peut s’étonner, peut-être, du fait que j ’éprouve le besoin d’associer les notions de “ Préface” et de “ Mode d’emploi” ; la “ préface” apparaissant généralement avant des énoncés tels que La Comédie humaine et “ mode d’emploi” sur des notices acompagnant des instruments du genre Moulinex. Et quel amalgame peut-on faire entre Balzac et un moulin à légumes? A priori, aucun. Et cependant, la littéra­ ture expérimentale française la plus récente vient en effet d’ajouter, à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le “ hors-texte” , un nouveau type qui s’apparente plus au mode d ’emploi de l’ustensile quotidien qu’à la préface proprement dite. Jusqu’alors, tous les énoncés traditionnels qui précèdent un texte sont, du point de vue de l’analyse linguistique de la langue, les énoncés déclaratifs destinés à diriger le lecteur, l’auteur ou son représentant introduisant de prime abord des bornes et des repères chargés d’orienter le processus heuristique de la lecture. Dans le cas de ces textes prolégomènes, l’intentionalité de l’auteur s’offre comme une donnée explicite; d’où le caractère dialectique du discours préfaciel tou­ jours, en principe, à lier avec le texte qui lui fait suite. Dans la “ préface” de leur Anthologie des préfaces des romans français du X IX e siècle, Gershman et Whitworth remarquent donc à bon droit: “ Ce qu’un grand romancier a à dire sur son art [...] peut jeter une lumière plus vive sur sa Vol. XXVI, No. 4 71 L ’E s pr it C r éa teu r propre œuvre et aussi [...] sur la théorie du roman” . C’est en partant de cette constatation que, sous la direction de Claude Duchet, le groupe de recherches de l’Université de Paris-VIII consacré aux préfaces romanesques du XIXe siècle a, depuis près de dix années maintenant, bien avancé la typologie des textes appartenant à ce genre de discours et proposé un relevé des liens qui le lient au texte qu’il introduit. Pour des raisons d’efficacité immédiate, parmi les conclusions de leur travail, je ne retiendrai que les deux distinctions fonctionnelles relevées à propos du discours préfaciel traditionnel: la préface peut être, soit un exposé des buts, du type Manon Lescaut: “ L’ouvrage entier est un traité de Morale, réduit agréablement en exercice” , soit un exposé de la théorie d’écriture, du type Germinal: “ Toute l’opération consiste à prendre des faits dans la nature, puis à étudier leur mécanisme, en agissant sur eux par des modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’écarter des lois de la nature” . Du point de vue linguistique, ces préfaces ne font pas apparaître la modalité pragmatique du factitif (ou de l’illocutoire), c’est-à-dire du FAIRE; FAIRE lire, FAIRE écrire. Or, le “mode d’emploi” entre de plein droit dans cette modalité du FAIRE puisqu’il nous aide à FAIRE marcher la machine... En jouant sur le déplacement de sens du terme MACHINE, aujourd’hui bien installé dans le vocabulaire de la critique littéraire, il est donc...

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