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Les lieux de la peinture et la linguistique de l’image Eugène Nicole U N RÉPERTOIRE EXHAUSTIF de l’œuvre d’Henri Michaux se disposerait idéalement sous la double rubrique instituée d ’un Catalogue et d’une Bibliographie. Depuis la grande rétrospective de 1978, le premier de ces répertoires, établissant en 21 sections chrono­ logiques un parcours de l’œuvre peint, nous en a confirmé la richesse et la continuité tout en soulignant la diversification des techniques employées, des premières peintures de 1925-34 à celles de 1974-77.' Si l’on note que le premier texte publié (Cas de folie circulaire) date de 1922, on s’aperçoit que les deux activités sont, à quelques années près, parallèles. Certes, les débuts de la peinture sont plus lents, et ils com­ portent une interruption concomitante aux grands voyages du poète. Néanmoins, la production picturale va s’intensifiant et connaît des pro­ liférations notables, telle la gigantesque floraison des “ signes en mouve­ ment” des années 1950-51. D’une façon générale il paraît établi qu’à partir de 1938-39, Michaux accorde une importance égale à ses peintures et à ses écrits. Une comparaison plus fouillée révèle d’ailleurs, entre ces deux champs, de multiples interférences. Il n’est pas rare qu’un poème découle pour ainsi dire d ’un dessin, d’une gouache ou d ’un tableau. “ Emportezmoi ” , “ La Ralentie” , sont les titres de deux aquarelles de 1943. Les “ Emanglons” du Voyage en Grande Garabagne ont été peints par Michaux en 1936-37. On reconnaît dans le poème “ Prince de la Nuit” la transcription poétique mais précise de la célèbre gouache sur fond noir de 1937. Ces exemples pourraient être multipliés. Plus remarquable est le fait que l’œuvre picturale soit présente à partir de 1939 dans nombre d ’éditions originales des livres de Michaux. L’essai de bibliographie complète des “ écrits” d ’Henri Michaux entre­ prise dans le numéro spécial de l’Herne1 ne semble pas tenir compte de cette double appartenance de l’espace du livre, qui bouleverse pourtant la 1. Henri Michaux (Paris: Centre Georges Pompidou, Musée National d’Art Moderne, 1978). (Catalogue de l’exposition, précédé d’un classement chronologique et com­ menté de l’œuvre peint. Ci-après: Cat., 1978.) 2. Henri Michaux, ed. Raymond Bellour, Les Cahiers de l ’Herne, no. 8 (Paris: Editions de l’Herne, 1966). Vo l . XXVI, No. 3 37 L ’E s pr it C r éa teu r dichotomie idéale du catalogue et de la bibliographie. En effet, s’il est possible, en certains cas, de voir dans les reproductions, des “ illustra­ tions” juxtaposées aux poèmes—comme le suggère le sous-titre de Pein­ tures (1939)3—dans bien des recueils le rapport de l’écrit et du graphique se renverse au profit de ce dernier (Par des traits, 1984, où le dessin domine), ou bien le texte disparaît complètement (Par la voie des rythmes, 1974). Que le travail graphique investisse le lieu même de l’écriture, ne se réduit évidemment pas, ici, au simple usage d’une commodité de la reproduction.4 Il s’agit bien de substituer le graphique au verbal en son lieu propre. Ce dessein s’explicite dans Par des traits, projet d’un poème où le geste l’emporte sur le signe, et qui mettra l’accent sur le trait “ comme moyen de s’en tirer” . Négation, en somme, du langage dans une biffure généralisée, qui retourne aux jeux immémoriaux de l’exis­ tence, disparus, oubliés sous la pression totalisatrice, économique et directrice de l’écriture fonctionnelle, à base phonétique. La réalisation du livre se donne ainsi comme rêve d ’une langue non totalitaire, “ pas vraiment une langue, mais toute vivante, plutôt des émotions en signes qui ne seraient déchiffrables que par la détresse et l’humeur” .5 Toutes choses que proclame une Postface significativement intitul...

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