Sillons. Hommage à Gabrielle Roy ed. by Lise Gaboury-Diallo (review)

Lorsque Gabrielle Roy eut l’audace de s’imaginer écrire en français au Manitoba dans les années 1930, elle se trouvait devant une pénurie littéraire dans sa terre natale. Son inspiration et ses modèles étaient pour la plupart européens et masculins. Qui aurait pu imaginer que son ambition audacieuse entraînerait dans son sillage des générations plus tard une si grande diversité « d’écrivaines et d’écrivains franco-manitobains, d’origine, de choix ou de passage » tels que celles et ceux rassemblés dans cette anthologie servant d’hommage et de commémoration à « la grande dame de la littérature franco-manitobaine » (Carol J. Harvey) pour marquer le centenaire de sa naissance? Le beau poème de J. R. Léveillé intitulé « Phare dans la prairie » souligne l’exemple laissé par Gabrielle Roy, la pionnière qui guide, éclaire et trace un chemin vers les créations des vingt-huit auteurs et vingt-neuf artistes recueillis dans ce volume, les héritiers de sa témérité et de son talent. La qualité et la diversité des textes littéraires, artistiques et critiques rassemblés ici attestent de l’ébullition et de la promesse de cette francophonie minoritaire d’aujourd’hui. En donnant à ce volume le titre Sillons, la directrice du volume, Lise Gaboury-Diallo, poète et nouvellière franco-manitobaine chevronnée, met l’accent, d’une part, sur l’œuvre de Roy inscrite dans la terre manitobaine et, d’autre part, sur une ouverture à la création vers des horizons illimités.

Si Gabrielle Roy a dû s’aventurer en France et en Angleterre pour ensuite s’installer au Québec en milieu francophone pour écrire, c’est surtout dans la terre manitobaine que l’imaginaire de son œuvre est enraciné. Et c’est dans cette terre que les auteurs et artistes de Sillons ont planté leur propre texte en témoignage du riche héritage laissé par Gabrielle Roy. Dans son invitation, Lise Gaboury-Diallo n’a pas imposé une thématique ou un genre précis aux collaborateurs, stipulant seulement « qu’il y ait un lien entre le texte proposé et la vie ou l’œuvre de Gabrielle Roy ». Le pari est réussi : chacun des auteurs et artistes présente une contribution inédite, soit littéraire (réflexion personnelle, nouvelle, poème, journal intime, prose romancée), soit plastique (acrylique, aquarelle, huile sur toile, photographie, courtepointe, dessin) qui capte de façon originale quelques-unes des multiples facettes d’une vie et d’une œuvre riches, variées, exaltantes et inépuisables. Parmi elles, des repères reconnaissables : certains personnages biographiques ou fictifs, tels Gabrielle et sa famille, Christine, la narratrice de Rue Deschambault en vieille femme, la fille de Marta Yaremko d’Un jardin au bout du monde; certains lieux de représentation maintenant ancrés dans la mémoire, tels la rue Deschambault, le pont Provencher, la route d’Altamont, le village de Cardinal, les écoles perdues dans la prairie et des expériences particulières au milieu minoritaire – l’appartenance, la marginalité, l’exil. On peut y goûter des réflexions personnelles, des fictions tissées de réel, des poèmes évocateurs ou ludiques, des fragments de journal intime, des fictions spéculatives et des essais interrogatifs. La vie et l’œuvre de Roy, présentes par fragments sans ordre déterminé, servent de prétexte pour produire de nouveaux sens et de nouvelles inventions, et à poser, dans une actualité renouvelée, les questions qui ont hanté la pionnière.

Chaque texte est une interprétation que le lecteur aguerri ou nouvellement arrivé à l’œuvre de Roy prendra plaisir à découvrir. Particulièrement notables pour moi, spécialiste royenne et citoyenne de l’Ouest canadien, sont les textes qui inventent des situations pour prolonger et approfondir les expériences de l’auteure ou d’un personnage, et qui tissent intelligemment intertextes et...