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Reviewed by:
  • Oser Éros. L’érotisme dans le roman québécois des origines à nos jours by Élise Salaün
  • Gaëtan Brulotte (bio)
Élise Salaün, Oser Éros. L’érotisme dans le roman québécois des origines à nos jours, Québec, Nota bene, 2010, 398 p., 29,95$

Longtemps, l’idée reçue et relayée de l’absence de tout érotisme dans la littérature québécoise a dominé les esprits. Dans sa remarquable thèse, tout à fait passionnante, Élise Salaün montre que l’expérience du désir et de la sexualité a, en fait, trouvé son mode d’expression à toutes les époques. Comme sa représentation varie dans le temps, bien entendu, sa lecture d’une centaine de romans l’amène à dégager sept formes d’érotisme qui s’échelonnent sur l’ensemble du corpus québécois. Elle développe ces formes en autant de chapitres bien étoffés.

L’Éros classique caractérise la seconde moitié du XIXe siècle où tout est en allusion et sublimation, où l’explicite est exclu. L’érotisme se manifeste alors par des regards, des rougeurs aux joues, des cous qui s’inclinent gracieusement. La beauté conventionnelle est essentielle pour inspirer l’amour, et l’union des corps ainsi idéalisés est assujettie à la beauté des âmes. Les portraits insistent surtout sur la beauté passive et stéréotypée des femmes et les personnages masculins y sont présentés comme des héros courageux, édifiants sur le plan moral. Cet Éros classique est celui des grandes passions qui se décodent entre les lignes et qui respectent les normes de la société. Il montre les différents obstacles à l’union amoureuse, mais les rencontres finissent toujours par un mariage. Quand le libertinage y apparaît, il est fortement diabolisé.

L’Éros romantique se pointe au tournant du XXe siècle et incorpore la tragédie à l’idylle. Le destin y condamne le désir à l’insatisfaction perpétuelle : un partenaire promis disparaît à la suite d’un interdit majeur ou d’une maladie incurable, physique ou mentale. Il en résulte des scènes de danse et de baisers langoureux qui n’iront pas plus loin. Les femmes ont [End Page 760] droit à une vie fantasmatique, elles sont évoquées avec sensualité et ne sont plus de marbre. Si l’espoir d’assouvissement existe, le désir reste toujours entravé par les circonstances. La figure de l’étranger y apporte toute sa charge érotique, tel François Paradis dans Maria Chapdelaine ou le Délié dans Menaud, maître draveur, et permet aux protagonistes de vivre une sexualité symbolique et compensatrice. Dans quelques romans, la liaison érotique est consommée hors mariage, comme dans Le débutant (1914) d’Arsène Bessette et La chair décevante (1931) de Jovette Bernier. La femme fatale qui mène l’homme à sa perte fait également son entrée, comme dans la longue nouvelle de Jean-Charles Harvey, « Sébastien Pierre ».

L’Éros réaliste survient ensuite au début du XXe siècle pour donner une vision dégradée des mœurs campagnardes avant de migrer à la ville. Les personnages transgressent les codes moraux et sociaux pour se retrouver nus en public, s’accoupler en état d’ivresse, commettre viols et incestes. Les scènes sexuelles sont réalistes et les unions éphémères. La censure et ses représentants sont objets de sarcasmes (comme ce curé excité par la belle Suzon dans Marie Calumet). C’est une veine sombre de l’érotisme, avec des faiblesses charnelles expéditives et éphémères, ainsi qu’une vision brutale et déchue de la sexualité. On quitte la séquence nature-amour-enfantement-famille au profit de descriptions crues. À partir de 1940, le roman urbain favorise l’épanouissement de cet Éros réaliste. Les portraits se font désormais du bas vers le haut, contrairement à la dominante du visage dans les descriptions de l’Éros classique. La laideur physique et morale y apparaît, comme chez Séraphin Poudrier qui pratique le coït interrompu par avarice...

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