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  • Le temps des banquets. Politique et symbolique d'une génération, 1818-1848 by Vincent Robert
  • Danielle Tartakowsky
Vincent Robert . - Le temps des banquets. Politique et symbolique d'une génération, 1818-1848. Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, 431 pages.

Les monarchies constitutionnelles du premier XIXe siècle qui ont longtemps constitué un angle mort de l'historiographie française font aujourd'hui l'objet d'un regain d'intérêt dont il n'est pas exclu qu'il ait quelque chose à voir avec le néolibéralisme prévalant. L'ouvrage de Vincent Robert participe de ce renouvellement historiographique, à l'origine de récents travaux tous plus stimulants les uns que les autres.

Tout lecteur quelque peu familier de l'histoire du XIXe siècle se souvient de la campagne des banquets de 1847 et de l'interdiction du banquet du XIIe arrondissement qui engage le processus révolutionnaire de février 1848. Il ignore en revanche que cette suite d'événements qui mènent la Monarchie de Juillet à sa perte s'inscrit dans une histoire plus longue des banquets, mode de sociabilité populaire mais également moyen de mobilisation de l'opinion. Il ignore également trop souvent que la campagne de 1847 a été précédée par une autre, de 1827 à 1830, qui a pareillement miné la Restauration. Ce mode d'expression et d'action dont Vincent Robert montre qu'il est un indéniable indice d'une nationalisation de la vie politique, qu'on croit d'ordinaire plus tardive, a donc tenu une place centrale dans le déclenchement de chacune des crises ayant précipité la fin des deux monarchies constitutionnelles, avant que de retrouver ensuite ses fonctions de rituel d'apaisement social, non sans quelques similitudes avec le rôle des manifestations de rue, à l'orée comme au dénouement de certaines crises politiques majeures de la France du XXe siècle.

Dans cet ouvrage exemplaire à plus d'un titre, Vincent Robert revient sur cette histoire longue. Son approche ethnographique de la politique lui permet d'établir que le banquet - une de ces « fictions maîtresses qui font vivre l'ordre social » (Clifford Geertz) dans la France du premier XIXe siècle - est affecté par un basculement majeur : le banquet royal, qui était un des lieux par excellence de la symbolique de la souveraineté sous la Restauration, passe à partir de la Révolution de Juillet du côté [End Page 124] de la nation et le cède au banquet des citoyens incarnant la souveraineté nationale. Dans une France qui n'est pas encore totalement délivrée du spectre de la disette, sa force est d'être à la fois la forme élémentaire d'une liberté sociale fondamentale, un moyen d'action politique valorisé tant par son caractère pacifique que par les valeurs de fraternité et d'union qu'il incarne, et une métaphore de la souveraineté du peuple, voire de la cité future. L'interdire, c'est déclencher la Révolution.

Que la foule se rassemble en un banquet et non simplement dans des meetings, comme alors déjà en Angleterre, n'est pas indifférent. Vincent Robert, qui s'attache naturellement à la « physiologie du banquet sous la Restauration » comme à sa dramaturgie et qui sait, quand c'est nécessaire, revenir sur la succession des événements, accorde l'attention requise à la place qu'occupe alors le banquet au cœur des fictions maîtresses de l'ordre social et politique, fictions dont il constitue un creuset. Les passionnants chapitres consacrés à la Communion des égaux de Pierre Leroux comme aux intuitions convergentes de Michelet, à la parabole du Grand banquet de la nature de Malthus et au Dernier banquet des Girondins de Lamartine, soulignent la place qu'occupent les fictions sur le banquet dans certaines des contestations les plus radicales de l'ordre existant et l'imaginaire qu'elles charrient. Le banquet devenu, de leur fait, la métaphore de la cité future mais également le moyen de distinguer le peuple de ses oppresseurs, s'impose comme un extraordinaire outil de mobilisation partisane en même temps...

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