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1 Rappelons que ce roman occupe la position centrale des Illusions perdues, trilogie que Balzac jugea bon de consacrer à la montée en ville d’un talent provincial, le poète angoumois Lucien Chardon. Entraîné là par une maîtresse qui tôt s’en détourne, le jeune homme se retrouve donc à Paris et y découvre la grandeur et la misère de la vie intellectuelle. Il se lasse vite de cet austère et idéaliste programme, comme de son patronyme rébarbatif, et c’est sous le nom de Lucien de Rubempré qu’il se taillera une place dans La comédie humaine, sorte de Rastignac de seconde catégorie, marionnette du terrible Vautrin. 2 C’est en pareille circonstance que celui qui fait à la fois office de professeur et d’éditeur (nous sommes quelques-uns dans ce cas, hélas) établit la distinction la plus nette entre les deux pratiques: le professeurse réjouit de l’avantagedidactique que présente telleréplique de Roméo et Juliette, chargée à ras bord d’oxymores. L’explication de la figure de style s’en trouve facilitée, de même que la superposition des différents systèmes de signes offrant simultanément valeur antithétique (chez Shakespeare, l’épée appuie si nettement la réplique). Sans compter que cet excès, cette répétition, que je réprouve à titre d’éditeur, se trouve à fournir au prof de quoi discourir sur l’esthétique de la période élisabéthaine et les goûts du public. Risquons une nouvelle outrecuidance: l’édition est plus près de l’art que ne l’est la didactique. G I L L E S P E L L E R I N À si peu fréquenter Paris est le pays des écrivains, des penseurs, des poètes. Là seulement se cultive la gloire. Honoré de Balzac, Les illusions perdues. II. Un grand homme de province à Paris1 Considérons trois énoncés : 1. L’on tient généralement William Shakespeare, dans la sphère anglosaxonne , pour le plus grand écrivain du millénaire. 2. Je n’aime pas le théâtre et n’y connais pas grand-chose. 3. William Shakespeare, je veux bien, mais chaque fois que je le lis, le goût me prend de retrancher telle réplique, de corriger telle autre . Bref, j’ai 2 le sentiment de me trouver devant un travail inachevé, et il ne me viendrait pas à l’idée de considérer William Shakespeare comme le plus grand des écrivains. Considérons trois autres énoncés : 1. Celui qui se permet des commentaires dubitatifs sur Shakespeare fait preuve d’impudence – le fait de s’y adonner devant une docte assemblée comme celle-ci montre que l’imprudence fait aussi partie de ses travers. 2. S’il lui vient à l’esprit – il a l’impudence universelle – de retrancher des passages dans un texte d’écrivain, c’est qu’il est éditeur et qu’il entretient avec les textes un rapport actif. Impudent, mais pas iconoclaste. 3. À titre d’éditeur, il a appris que les métiers du livre sont métiers de communication. L’œuvre s’impose mal d’elle-même, il faut faire jouer la rumeur publique à son propos. La rumeur naît plus volontiers dans 760 gilles pellerin certains lieux parce qu’on y commet l’acte. Il vit sous ce rapport dans une ville prude, Québec. Imaginez la déraison de qui prétendrait entreprendre une communication auprès d’un public avisé en contestant la valeur du grand William Shakespeare, après avoir fait étalage de méconnaissance comme si cela était un état de service, voire un fait d’arme. (Par chance il reste quelques lieux, hors de la politique, où l’ignorance ne fait pas figure de vertu.) Comme je n’ai pas le loisir de devenir shakespearologue et tiens à ma réputation autant qu’à mon exemple, des nuances s’imposent. Je n’éprouve pas de déplaisir ni d’irritation à lire Shakespeare ou à le voir transposé à l’écran – je ne fréquente pour ainsi dire pas les salles de th...

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