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  • The Bad Taste of Others: Judging Literary Value in Eighteenth-Century France by Jennifer Tsien
  • Baldine Saint Girons (bio)
The Bad Taste of Others: Judging Literary Value in Eighteenth-Century France par Jennifer Tsien Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 2011. vi+268pp. US$47.50. ISBN 978-0-8122-4359-8.

Jennifer Tsien part de l’idée profonde selon laquelle le discours qui condamne sous des chefs déterminés le « mauvais goût » est plus cohérent et plus révélateur que celui qui fait l’apologie du bon goût ou du goût tout court. Aussi bien entreprend-elle d’analyser les armes que se donnent les critiques littéraires de la fin du xviie et du xviiie siècle pour exclure certains mots, certains styles, certains genres. « Le mauvais goût », c’est celui des autres; et la spéculation sur « le bon goût » peut aussi bien servir d’alibi pour le dénoncer. On pense à cette formule de Jules Renard: « Je ne sais pas si j’ai du goût, mais j’ai le dégoût très sûr »; l’hégémonie du dégoût est forcément plus virulente que celle du goût et se montre en tout cas dûment motivée.

Tsien explicite en conclusion sa convergence de vue avec Victor Hugo, prétendant mettre « un bonnet rouge au vieux dictionnaire » et abattre la monarchie des mots. À bien des égards, elle ne fait que reprendre ses attaques: à l’encontre de Vaugelas et de Racine, mais en faveur de Molière (dont le nom rime avec « la vie abjecte et familière »), à l’encontre de [End Page 789] Voltaire, mais en faveur de Corneille (« Et Voltaire criait : «Corneille s’encanaille ! »), à l’encontre de Boileau, de Lhomond, pris comme support d’affiche:

Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes ! À la pensée humaine ils ont mis des poucettes.

La méthode qu’elle choisit pour vérifier ses dires ne s’inspire pas des méthodes sociologiques utilisées par Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979). Il ne s’agit pas de montrer que le goût est déterminé par l’appartenance à une classe sociale, un style de vie ou des habitus. L’objet est de démonter les stratégies des critiques littéraires et des philosophes, tels Dubos, Montesquieu, Voltaire, Marmontel, qui prétendent définir ce que la littérature doit ou devrait être.

Après un premier chapitre montrant comment l’excès de livres conduit à les enterrer (article « Bibliotaphe » de l’Encyclopédie par Jaucourt) ou à en brûler les pages inutiles (article « Bibliomanie » de d’Alembert), et un second chapitre consacré à une première définition du bon goût, l’auteur étudie successivement quatre motifs de condamnation: la barbarie des temps passés (chapitre 3), la vulgarité du temps présent (chapitre 4), l’obscurité (chapitre 5) et, enfin, le désordre (chapitre 6).

Le rejet de la barbarie s’appuie sur une « histoire imaginaire du goût »: Tsien montre comment Le Siècle de Louis xiv de Voltaire exprime un credo diffusé notamment par Marmontel ou La Harpe. La querelle des Anciens et des Modernes atteste néanmoins que l’idée de « progrès » que généralise Condorcet reste problématique. En ce qui concerne la vulgarité, Tsien développe une géographie du goût et étudie la querelle antique autour de l’asianisme ou de l’orientalisme. Son commentaire de la préface aux Lettres persanes de Montesquieu est très éclairant. En ce qui concerne l’obscurité, elle s’appuie sur les travaux de Marc Fumaroli pour montrer comment se développe « le mythe du génie de la langue française » (« Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français », écrivait Rivarol) et mène aussi un travail original sur l’énigme (dans sa vogue salonnière) et sur les différents sens de l’énigmatique, du hiéroglyphique et du symbolique. Il faut bien comprendre qu’il y avait dans le hiéroglyphe une clarté aujourd’hui perdue. Enfin, le chapitre sur...

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