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ESTHER CROFT La nouvelle ou la vie On a maintes fois constate, deja, l'engouement que semble susciter depuis plusieurs annees Ie chaix de Ia nouvelle comme pratique d'ecriture privilegiee. On a aussi abandamment questionne Ie sens que pouvait prendre eet engouement, tant sur la plan sociolagique que psychologique au litteraire. Je ne pretends done pas rajouter de reflexions vraiment nouvelles aux nomhreuses analyses que d'autres ant elaborees bien avant moi sur Ie sujet. J'aimerais, tout simplement, tenter de cerner un peu plus la Signification de man propre interet pour ce genre precis et degager, peutetre , queUe dimension de la realite cette forme d'ecriture me pennet d'explorer et d'exprimer. D'une maniere plus ou mains consciente, plus au mains avouee aussi, j'aurais souhaite, comme bien des gens sans doute, que 1a vie soit un long fleuve, pas toujours tranquille, necessairement, mais constitue, au moins, d'une melne eau, anime d'un meme courant etmaintenu par des rivages robustes et fiables. Ou bien encore, formule autrement, j'aurais aime que 1a vie se deroule comme un roman, peut-etre pas tant dans son contenu exceptionnel au dans ses figures exemplaires que dans sa structure meme, dans son organisation formelle, c'est-a.-dire dans une rassurante cohesion; qu'elle evolue suivant une trame unique, qu'eIle se compose d'elements et de situations etroitement relies les uns aux autres, que les relations qui s'y creent puissent en ~ssurer une progression harmonieuse et que l'enchainement des evenements s'etablisse dans un lien de causalite relativement comprehensible et explicable. Bref, que l'existence forme un tout adequatement organise et qu'on puisse, sans trop d'embuches, en discerner Ie sens. Mais au fur et arnesure de son devoilement, la realite m'a semble se rnanifester beaucoup plus frequemment dans sa precarite que dans sa permanence, dans sa dimension fragmentaire que dans son unite; de plus, je ne cesse de m'etonner des detours inattendus de son evolution, de la quantite effroyable de ruptures qui semblent necessaires it son developpement , du caractere insense ou du mains insondable des elements qui semblent pourtant en assurer la coherence. Et c'est sans doute cet aspect impromptu du feel que la pratique du genre nouvellistique me permet d'apprivoiser et d'explorer. Pour moi, en effet, ecrire une nouvelle, c'est un peu chercher a saisir la vie telle qu'elle peut apparaitre, une fois revue et corrigee par les filtres de UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 68, NUMBER 4, FALL 1999 LA NOUVELLE OU LA VIE 893 la necessite interieure : une suite decousue d'evenements indechiffrables, de souvenirs dissonants qui tendent malgre tout ase recomposer en un ensemble satisfaisant une aHernance arbitraire de moments insignifiants et de situations determinantes, de rencontres fugitives et d'amities irremplac;ables, de blessures chroniques et de plaisirs si passagers, de reves tetus et d'amours intermittentes, de hasards inesperes et de synchronisrnes tragiques, de naissances avortees et de mort incontournable. En somme, toute une infinite de grandes et de petites experiences qui semblent ne pouvoir s/agencer qu/en pieces detachees. Et pourtant... Pourtant, je sais bien qu'au terme de toute entreprise d'ecriture, je finis par chercher (et non sans conviction) ainstaurer un ordre dans Ie desordre, adonner une sorte de cohesion organique ace qui s'est impose, sous l'impulsion de l'inconscient, en sequences desesperement discontinues. Et 5i, par ailleurs, les critiques ont souvent souligne cette«unite rigoureu'se et peu frequente» de mes recueils de nouvelles, si certains Dnt meme cru y discerner une« tentation romanesque », c/est peutetre qu'apres tout, je n'ai pas tout afait renonce al'idee que la vie pourrait effectivement etre un long Reuve tranquille et qU'elle pourrait bien emprunter la forme et la texture du roman... ...

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