Samuel Beckett and Pain ed. by Mariko Hori Tanaka, Yoshiki Tajiri, and Michiko Tsushima, and: L'Éthique beckettienne et sa réalisation dans la forme by Caroline Mannweiler (review)

Bien que leur titre annonce des lectures très différentes de l'oeuvre de Samuel Beckett, la collection d'essais édités par Mariko Hori Tanaka, Yoshiki Tajiri et Michiko Tsushima, et le livre de Caroline Mannweiler se recoupent en ce qu'ils traitent tous deux, chacun à leur façon, de l'inscription de la souffrance et de la douleur dans les textes de Beckett. Ces deux études viennent compléter la littérature critique existant déjà à ce propos, la première en offrant une perspective pluridisciplinaire sur le sujet, et la seconde en révélant la dimension éthique que souffrance et douleur revêtent dans l'oeuvre de Beckett. Les dix essais réunis dans le premier volume interrogent la nature et la fonction des multiples maux qui sont évoqués dans les textes de Beckett et dont sont frappés la plupart de ses personnages.

Partant du constat que la vie de l'écrivain fut empreinte tant de douleurs physiques que de souffrances psychologiques, le volume montre que celles-ci furent, pour Beckett, force créatrice et en explore les différentes manifestations dans son oeuvre afin d'établir le pouvoir rédempteur de l'art et de la littérature. Si le processus de sublimation ainsi exposé n'a en soi rien d'original, la variété des perspectives adoptées dans ces essais — littéraire, théâtrale, cinématographique, artistique, historique, philosophique, médicale et psychanalytique —, ainsi que les lectures détaillées qu'ils fournissent des différentes modalités de l'inscription de la souffrance et de la douleur dans l'oeuvre de Beckett, contribuent à en éclairer la genèse et la poétique si particulière, mais également à remettre en question certaines conceptions admises sur la relation entre algésie et langage (notamment celles formulées par Elaine Scarry dans The Body in Pain: The Making and Unmaking of the World (Oxford University Press, 1985)). Le texte de Peter Fifield, '"Frankly now, is there pain": Beckett, Medicine and the Composition of Pain', nous a paru à cet égard particulièrement convaincant.

Le livre de Mannweiler, de son côté, se propose de montrer que la 'forme' des textes de Beckett donne lieu à une éthique fondée sur le refus 'd'une exigence de totalité' par 'empathie avec la souffrance [. . .] dans la mesure où l'abandon d'un des critères reviendrait à exclure totalement certaines vies' (p. 243). Partant de 'la vulnérabilité de l'homme désirant' (p. 243) exposée dans les textes de Beckett, Mannweiler y repère une série de doubles postulations simultanées (empathie et jugement, humanisme et nihilisme, bourreau et victime, solitude et compagnie, minoritaire et majoritaire) entre lesquelles les textes empêcheraient de choisir afin de prévenir toute exclusion et ainsi 'd'éviter les violences inutiles' (p. 242). Se référant aux textes théoriques de Beckett, Mannweiler pose que cette indécidabilité est prolongée par une 'parole qui échoue mais qui ne cesse pas' (p. 244) grâce à la préséance qui y est donnée sur le mot à l'image et au son. L'auteur fait de cette préséance un choix éthique et l'impute au fait que 'tout en "montrant" quelque chose, [l'oeuvre] ne permet pas au lecteur de conclure à un jugement définitif ' (p. 244). Dans les 'romans plus conventionnels' (p. 244), 'le maniement subtil des discours' fait 'apparaître leurs présuppositions implicites et donc les limites des jugements fondés sur de tels discours' (p. 245). La rupture de Beckett avec certaines normes, formelles ou non, s'expliquerait alors 'en raison de sa sensibilité à l'égard des dangers que comportent les normes lorsqu'elles prétendent...