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  • Le Songe et la raison: essai sur Descartes by Tony James
  • Christian Belin
Le Songe et la raison: essai sur Descartes. Par Tony James. (Philosophie). Paris: Hermann, 2010. 168168 pp.

Nul doute que Descartes ait été moins rationaliste que tous les 'cartésiens' déclarés. Comme il arrive souvent dans l'histoire des idées, les épigones trop zélés trahissent une pensée qu'ils croient servir, mais qu'ils travestissent malgré eux. Déjà nombreuses sont les études qui ont tenté de réhabiliter la puissance de l'imaginaire cartésien. L'essai écrit par Tony James s'inscrit dans ce mouvement de réévaluation qui prend en compte la totalité des œuvres écrites par le philosophe. De manière très suggestive, James propose ici une relecture des trois fameux songes que le jeune Descartes fit en 1619. Au fil d'une étude critique scrupuleuse, attentive aussi bien au texte français qu'au texte latin, James met ces récits oniriques en relation avec d'autres textes (Discours de la méthode, Méditations métaphysiques, Lettres) où Descartes déploie tout un réseau d'images aptes à servir ses démonstrations. L'auteur compare en particulier les emplois des mots 'songe', 'rêve' ou 'rêverie', dont il scrute le sémantisme nuancé. Descartes eut la conviction qu'il pouvait exister un état de conscience singulier où le sommeil n'excluait pas une certaine forme d'entendement. Même dans le songe, la raison peut, le cas échéant, ne pas perdre sa maîtrise intellectuelle, à tel point qu'il ne serait pas absurde de concevoir une certaine coïncidence, à coup sûr subversive, entre le sommeil et la raison. En interrogeant notamment les passages où Descartes s'est exprimé sur les pouvoirs de la rêverie (par exemple dans la belle lettre adressée à Balzac le 15 avril 1631), James reconstitue les liens éventuels que tissent entre elles les différentes formes d'imagination à l'œuvre dans le sommeil, la fable ou la fiction littéraire. À la faveur de cet aller-retour judicieux, qui instaure une incessante lecture croisée, James propose in fine une tentative d'interprétation des trois fameux songes, que Maxime Leroy avait déjà soumis à la sagacité de Sigmund Freud en 1929. L'auteur replace ces trois récits dans le contexte des lectures faites par le jeune Descartes au collège de La Flèche, en insistant en particulier sur les poèmes d'Ausone figurant dans le Corpus poetarum, dont il donne par ailleurs une fidèle traduction. Un halo de mystère environne ces textes, et le fameux 'melon' entrevu en rêve restera longtemps une délicieuse énigme pour tous les amis de Descartes . . . James souligne à juste titre l'importance de cette expérience fondatrice, dont le récit a été conservé par le philosophe jusqu'à sa mort. Ces textes témoignent de la forme abstraite de ces 'rêves d'en haut', mais aussi de leur saveur poétique ou symbolique. Descartes aimait trop la raison pour ne pas se permettre de goûter aux charmes ensorcelants de la déraison.

Christian Belin
Université Paul-Valéry, Montpellier 3
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