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·POESIE 49 pronounced. The surprise here lies in the openness and tenderness ofthe love poems, his return to earlier themes to revise images such as the 'green man' and the 'astrolabe' so as to profess a new trust in the body, its instincts and needs. In pursuing this greater inwardness, Le Pan has included fifty new poems under the title 'WeatheringIt.' Abjuring poetic embellishment, Le Pan recounts his' life from earliest childhood to the present. Highly moving, these poems build upon one another for their effect, until at the end one finds Le Pan at age seventy-three, alone inToronto, 'sometimes a little sorry for himself, I waiting for the phone to ring, waiting, remembering.' The sequence closes with'A View to the West,' leaving us with the picture of Le Pan 'wondering, if he could pray, what he should pray for, I wondering if he should have another drink.' The title 'Weathering It' captures the mood, and returns the reader to Le Pan~s earlier poems to observe a forty-year development of Canadian poetry, a slow, often hesitant struggle to speak that which formerly had no words. Poesie ROBERT YERGEAU Mesuree al'aune du nombre de recueils, d'etudes, d'essais, d'anthologies et d'actes de colloques publies, la poesie quebecoise vient de connaitre une autre annee faste. Les principaux editeurs (l'Hexagone, Ie Noroit, les Ecrits des Forges, les Herbes rouges, la Nouvelle barre du jour, Triptyque) ont mis sur Ie marche une multitude de recueils. Certains d'entre eux (l'Hexagone, Ie Noroit, les Ecrits des Forges) ont poursuivi leur politique de coedition avec des editeurs fran<;ais (Ia Table Rase, Ie Castor Astral) et les Ecrits des Forges ont meme edite des recueils des poetes fran<;ais Guillevic, Franck Venaille et Patrice Delbourg. Par ailleurs, Jean Royer a ete Ie maitre d'oeuvre de deux anthologies (Ie Quebec en poesie, Gallimard, 142; la Poesie quebecoise contemporaine, I'Hexagone/la Decouverte, 255) tandis que la celebre collection 'Poetes d'aujourd'hui' des editions Seghers a accueilli Paul-Marie Lapointe (no. 254; 201). Pour I'occasion, Robert Melan<;on a signe une remarquable etude de l'oeuvre du poete. De plus, parmi les etudes litteraires, notons Ie fort volume qu'a consacre Robert Lahaise aGuy Delahaye et la modernite .litteraire (Hurtubise HMH, 549) et surtout I'oeuvre de Paul Wyczynski, Nelligan 1879-1941 (Fides, 635). Cette biographie represente un modele . du genre tant par l'etendue des recherches que par la pertinence et la rigueur des propos. Soulignons enfin I'essai de Claude Beausoleil, Extase et dechirure (Ecrits des Forges/la Table Rase, 192), les echanges epistolaires entre Normand de Bellefeuille et Hugues Corriveau, A double sens: 50 LETTERS IN CANADA 1987 Echanges sur quelques pratiques modernes (les Herbes rouges, 236), ainsi que La Mort du genre: Actes du colloque tenu aMontreal en octobre 1987 (la NBJ, nos. 209-11, 196 p), l'Ecriture: Lieu theoriqueet pratique du changement: Actes du colloque de Charleroi, novembre 1986 (la NBJ, nos. 201-2; 109) et Questions de poesie (Estuaire, no. 47, p 5-60). Donc, les poetes et les essayistes produisent du texte a tire-Iarigot, tandis que les colloques permettent aux participants de tenir des propos tant6t pontifiants, tant6t iconoc1astes, tantot complaisants, tantot riches en vues penetrantes sur I'etat de la poesie et, partant, de la culture. Certes, toutes ces manifestations ne revetent pas la meme importance. Certains auteurs se contentent d'avancer tete baissee dans les chaussetrapes d'un conformisme d'avant-garde. Toutefois, tous ces essais et ces colloques nous apparaissent necessaires puisqu'ils mettent en relief des preoccupations - esthetiques et ethiques - contemporaines qu'inflechissent les prises de position individuelles. En ce sens, la question du genre et la terminologie problematique qu'elle souleve (poesie, texte, textualisation, ecriture, fiction, recit) retiennent une fois encore l'attention, cette annee. Cette question appellerait une analyse que nous ne pouvons entreprendre dans les limites de notre chronique. Contentons-nous de citer quelques extraits de certaines interventions. Ainsi, France Theoret ('Fiction et metissage ou ecrire I'imaginaire du reel,' l'Ecriture: Lieu theorique et pratique du changement , 63-78), apres avoir rappele que 'l'ecriture comme metissage des genres n'est pas une nouveaute, qu'elle se pratique, au Quebec notamment , depuis une quinzaine d'annees, enrichie par toute une dimension critique' (72), 'pose la question de I'ecriture comme metissage des genres qui n'aurait rien agagner adevenir Ie grand tout OU tout se confrondrait' (72) et souscrit 'a une ecri~re qui porte en ar~ere-plan reconnaissable les genres litteraires ... Est-ce un refus de choisir? Au contraire. II s'agit plutotd'une option pour la fiction, pour un desir d'orienter l'ecriture vers la pratique de la fiction' (74). Pour sa part, Paul Chamberland ('L'intervalle irresolu,' La Mort du genre, 57-75) soutient que lsi je tiens aI'appellation de "poesie," c'est que la poesie n'est pas un genre mais Ie genre, "Ie seul qui soit plus qu'un genre'" (65). II precise que 'vivre, ecrire, temoigner en nomade au bord de la disparition sans cesse imminente, telle est pour moi la seule ethique recevable en poesie, en ecriture' (71). Enfin, Normand de Bellefeuille ('Quelques reflexions sur La Mort du Genre,' ibid, 77-90) pose la question suivante: lSi l'imperialisme critique du decoupage des genres ne faisait, somme toute, que masquer la possible invalidite de notre pratique dans I'ensemble de ce que j'aimerais appeler "les plus urgentes interrogations du possible"? Car quand j'ecris, chaque fois, j'ai l'impression que ce ne sont pas seulement les genres traditionnels qui sont "menaces," mais precisement la pertinence "historique" d'un tel geste, ici et maintenant' POESIE 51 (85). Les interventions de Theoret, Chamberland et de Bellefeuille nous interessent dans la mesure ou, au-dela des mots d'ordre tapageurs et des formules reductrices qui marquent parfois ce genre de communication, ils interrogent certaines pratiques institutionnelles en regard de leur propre pratique d'ecriture. Mais venons-en aux recueils de poemes. Cette annee encore, nous avons droit a une 1noissonabondante et eclectique. Celle-ci comprend des retrospectives, des reeditions, des coeditions, des premiers recueils et, il va de soi, tous les livres qui ne s'inserent pas dans I'une ou l'autre de ces categories. Certains auteurs (Michael Delisle, Yves Boisvert, Marcel Labine et Anne-Marie Alonzo) en ont meme publie deux. Litterarum intemperantia laboramus. Devant une telle avalanche, nous decidons, apres avoir pousse des cris d'orfraie, d'en retenir une quinzaine. Notre choix s'est porte sur des premiers recueils, sur des livres d'aines et sur ceux qui, toutes maisons d'edition, esthetiques et ethiques confondues, se sont imposes a nous d'emblee. Parmi les poetes debutants, Marie-Claire Corbeil privilegie, dans Inlandsis (Guernica, 65) la parataxe (absence d'actualisateurs, emploi frequent de I'imperatif, utilisation des deux points). Celle-ci impose un rhythme haletant qui cree une atmosphere oppressante. Trois suites structurent Ie recueil: 'Inlandsis,' 'Ville' et 'Falaise.' La premiere decrit l'agonie d'un homme 'debout sur I'inlandsis'; la deuxieme, l'errance urbaine et dix etres 'tous depeces, casses dans leur tete, rassis comme des miettes'; la troisieme, la mort qui guette la narratrice: 'Je suis dans la maison greffee a la falaise, je suis dans la maison et la mer s'y engouffre,' 'c'est fini: Ie vide dehors, la pierre. C'est fini, moi catapultee et la falaise noire.' Dans ces trois suites, tout eclate: Ie temps et l'espace, les lieux, les etres et la realite. Le souffle de Maldoror balaie ces poemes, avec lesquels Marie-Claire Corbeil reussit son entre en poesie. Helene Monette affiche une robuste sante poetique dans Montreal brule-t-elle? (les Ecrits des Forges, 81). Directe, drue, sa poesie petarade, mitraille les apparences, natt 'dans Ie chaos des sensations unanimes.' Ni museles par un langage sage, aux effets convenus, ni garrottes par la concision et Ie minimalisme, ses poemes explosent dans tous les sens et charrient pele-mele denonciation, rage et fureur: 'On danse comme des enfants cruels / sur des proies dechiquetees.' Cette charge culmine dans la suite eponyme qui clot Montreal brule-t-elle?; Monette y denonce les tranquilles certitudes de I'existence, avec des accents qui rappellent, toute .proportion gardee, Ie Chamberland de I'Inavouable. La plupart de ces poemes frolent, parfois, la catastrophe formelle; leur assise syntaxique . est, souvent, precaire. Malgre tout, la poesie d'Helene Monette atteint son but, qui est de 'pousse(r) un cri / a en faire craquer la ville.' Avec Metropolis opera (Triptyque/la Table Rase, 91), Joel Des Rosiers prend pretexte de son 'luminaire' (sic) pour nous eclairer (!) sur son parti 52 LETTERS IN CANADA 1987 pris langagier. Ainsi avons-nous droit a 'l'effet d'ex'lle,' et a ceci: 'Caisse? voire payer la dime de la diaprure des mots: un vers n'a jamais casse d'os quand }'alphabet s'enflamme au culte de la verite,' Je veux bien, mais atrop s'enflammer, gare au pompierisme! Heureusement, meme si, au fil des pages, nous retrouvons quelques jeux de mots douteux, comme 'je theme' ou 'do du poeme doux,' ce feu ardent n'embrase que Ie 'luminaire.' En fait, Metropolis opera nous revele un poete attentif aux effets de langage. L'utilisation de l'alliteration, de la paronomase, de la translation, de la parataxe et de l'inversion contribue amettre en place un dispositif syntaxique qui n'asphyxie pas les poemes, mais, au contraire, leur permet d'etendre leur richesse rythmique et semantique. La memoire , l'amour et une certaine vision urbain fa~onnent cette ville rt~elle et mythique qU'est Metropolis. '[F]anfare pour un homme d'extase,' 'en deuil de la beaute du monde,' Metropolis opera porte anotre attention un poete prometteur. Dans Brescia miracle de la justice amere (Triptygue, 82), Yves Gosselin ne s'en tient pas a une poesie qui fleure bon un certain conformisme d'epoque. Pour nous en convaincre, il suffit de lire ce poeme: Nommer la beaute cette autre limite au centre de notre mort vraisemblable Tu as parfois franchi Ie seuil du poeme qui devait eclairer tous les autres poemes Tu n'as pas avaincre d'autres dieux que toi-meme mais tu dois te vaincre (15) Les plus hautes exigences habitent Ie poete. Nous sommes en presence d'un etre que la quete de beaute conduit aBrescia, ville du nord de l'Italie ou pourriture, cendre, sang et mort cotoient les figures de }'enfance, de la femme, de la purete et de la lumiere. Le poete meurt alui-meme, pour renaitre aI'autre; grace au sacrifice propitiatoire de son sang, qui actualise toute creation ('Deux ou trois pages peut-etre / qu'il te faudra bien remplir / avec un sang d'homme'), il accede aune 'justice pleniere.' Parcours initiatique OU l'auteur subsume beaute, amour, justice, lumiere dans '}'eternite de [ses] jours,' Brescia miraclede la justice amere unit les preoccupations humaines les plus hautes et une quete metaphysique. Yves Gosselin devra toutefois se mefier a l'avenir d'un exces de metaphysique qui empeche certains poemes d'atteindre leur pleine grandeur. Mais voici assurement un poete dont nous attendons avec interet les prochaines publications. POESIE 53 Dois-je rappeler Ie truisme suivant? Aucun evenement, rut-ille plus eprouvant, Ie plus riche en experience, Ie plus porteur de sens, ne peut a lui seul fonder Ie poeme. En ce sens, si les Heures (I'Hexagone, 118) de Femand Ouellette et Noces noires (Ie Noroitlla Table Rase, s.p.) de Werner Lambersy constituent deux reussites, des moments privilegies de lecture auxquels la poesie nous convie rarement, ce n'est pas a cause de la mort du pere ou de la mere. Mais bien' parce que Ouellette et Lambersy reussissent par les mots a saisir la portee existentielle, ala fois tragique et derisoire, d'un pareil evenement. Le livre de Fernand Ouellette tire sa substance de la volonte du poete de rassembler au chevet de son pere qui, peu a peu, s'inserait dans 'Ie clair invisible,' les motifs signifiants de la lumiere, de la vie, de la mort, de I'ame et du temps. Poemes d'accompagnement donc, mais aussi de la depossession. Celle-ci fera surgir les images du silence, de l'absence, du froid, de la solitude, du vide, de l'abime, de la chute et du mur. Ce mur, qui delimite Ie territoire au-dela duquel'nos ombres / n'iraient pas plus loin,' la conscience du poete vient s'y heurter a plusieurs reprises: 'n y avait en nous / un epuisement des sens, / une quete vaine / vers Ie mystere / de celui qui partait.' Ouellette, dont la lucidite nous bouleverse ('En somme, / chacun de nous, / avec son etre disjoint, / et mal initie a l'obscurI au dedale / se preparait / a lui voler / sa mort'), ecrit depuis cet 'epuisement des sens' prelude a toute connaissance par les gouffres. n assume les 'visions lancinantes' issues de ces gouffres, de' cet abime: Nous ne pouvons plus reculer. La vie nous tient jusqu'au silence. Le periple commence toujours par l'abime. Par la revelation du vide, la chute entiere dans la solitude. C'est a cette vitesse tenebreuse que nous consumons les desirs. Que nous trouvons l'espace qui a la vastitude lumineuse de la demesure parfaite. La seulement 54 LETTERS IN CANADA 1987 les morts nous aideront anaitre. Enfin nous serons coupes des divagations, des miroirs, des echeances suffocantes. (114) Se trouvent reunis, dans ce poeme qui termine Ie recueil, comme en un condense thematique, les ruptures, les tensions et les espoirs qui nourrissent l'ensemble des Heures. Ouellette y transcende la trame evenementielle. nnous dit que Ie temps premier de I'etre n'est pas celui de I'innocence, de l'eden, puisque exister, c'est d'abord etre mis en presence du vide, de la chute. Ou desir de depassement qui natt de cette conscience du vide surgira un supplement d'ame. Ai-je besoin d'ajouter que les Heures est un livre essentiel: celui de la lucidite et de l'humilite, de l'ordre et du chaos, de l'errance et de l'unmobilite, de la dechirure etde la plenitude, des heures etde l'eternite? Dans Noces noires de Werner Lambersy, la nature, Ie temps, l'espace, mediatises par des sensations vives, convergent vers 'cet instant sauvage, et pres des larmes,' cet 'exces de nuit,' ou les 'guillotines du regard,' 'les Batards de cette mort' 'regarde(nt) l'inconnue rejoindre l'inconnu.' Le poete vit la mort de sa mere dans Ie plus grand denuement, sans reference reconfortante ou encombrante a Oieu, a!'au-dela, a toute la panoplie des illusions compensatrices. 'Parmi les aiguillages compliques de la douleur ,' en butte a l''infinie atomisation,' Lambersy demele, dans l'immediatete de la distance creee par la mort, l'echeveau des sensations et des reflexions. Au'fil des poemes, Ie poete cotoie la douleur, la souffrance, 'Ie desastre froid des origines' et 'Ie vide.' Cette conscience de la perte n'exclut pas toutefois certaines notations ironiques: 'Elle veut aller a l'eglise ou les chiens sont interdits. Alors elle oublie Oieu. Les chiens ont Ie leur qui lui suffit, la comble meme.' Lambersy cerne au plus pres la realite d'une mort par I'utilisation d'une prose qui neverse jamais dans Ie pathos, l'idealisation, l'elegie ou l'incantation. Noces noires ne porte en effet aucune trace de lyrisme intempestif, de discours grandiloquent et risible sur la mort. Lambersy y distribue les mots en poemes d'une, deux ou trois phrases, les convie aux noces noires, les conduit au seuil apartir duquelleur eclat et leur secheresse portent l'emotion aincandescence. Tres peu de livres parviennent a une telle simplicite et a une telle grandeur. La vieillesse et la mort, de meme que leur motif subsidiaire, Ie temps, hantent Sursis (les Ecrits des Forges, 50) d'Alphonse Piche. Cependant, nulle doleance appuyee, nul temoignage doucereux sur Ie grand age n'entravent la portee des poemes. La premiere partie du recueil, 'Strates POESIE 55 d'eternite,' contient vingt tercets OU Ie temps, la vieillesse et la mort composent une mosaique de sentiments et de sensations. La deuxieme partie, 'Aux tessons du desir,' comprend quinze poemes de longueur variable (de 16 a 40 vers) ou, aux motifs signifiants de '.Strates d'eternite,' se superposent ceux du desir et de la fureur de vivre. Surtout nous assistons, dans cette partie, a un changement de ton, lequel devient plus emporte, plus vehement. Piche assene a la vieillesse des poemes d'une rare jubilation vengeresse. Et si d'aventure la nostalgie surgit, Ie poete l'annihile aussit6t. Alphonse Piche, a l'age ou la plupart des poetes ont cesse d'ecrire, ou se complaisent dans de navrantes redondances, ou encore se penchent emus - ou contraries -sur leur oeuvre, renouvelle de fa'.;on etonnante sa poesie. Nous ajouterons meme qu'il vient de publier quelques-uns de ses plus beaux poemes. Sept recueils qui s'echelonnent sur vingt-cinq ans, quelques inedits, une preface de Rejean Ducharme, un superbe titre: la retrospective de I'oeuvre de Gerald Godin, 11s ne demandaient qu'a brUler (l'Hexagone, 332), constitue sans doute un evenement qu'ont deja enterine differentes instances institutionnelles. Ainsi Godin a-t-il remporte a ce jour Ie pr~x Quebec-Paris, Ie Grand Prix du livre de la Ville de Montreal, Ie prix Ludger-Duvernay 1987 de la Societe Saint-Jean-Baptiste et son nom figure parmi les finalistes du prix du Gouverneur general en poesie. Le premier recueil de Godin, Chansons tres nafves, parait, en 1960, aux Editions du Bien Public qu'anime alors Clement Marchand. Tristesse, douleur, melancolie, Ie temps qui fuit, l'espoir et les amourettes balisent Ie parcours thematique de ces premiers poemes. Toutefois, Ie poete ne donnera sa pleine mesure qu'avec Ie cycle des cantouques qui, amorce en 1963 (Nouveaux poemes, publie cette annee-Ia, en compte deux, definis . ainsi: 'dans les chantiers, outil qui sert a trimballer des billots. Id: poeme qui trimballe des sentiments'), culmine en 1967 avec justement les Cantouques, ces 'poemes en langue verte, populaire et quelquefois fran'.;ais~.' Expressions populaires, neologismes, archaismes, anglicismes , jurons, mots-valises, rythmes amples, images en cascade en fa'.;onnent les parametres formels. Certains font date, notamment 'Cantouque d'amour' et 'Cantouque menteur.' Dans tous ces poemes, c'est un homme en colere, indigne, tant6t blesse par I'amour et Ie pays a naitre, tantot porte par eux, qui prend la parole. Le Quebec possede desormais son Rutebeuf joualisant, son Jean Nan-ache politise. Avec Libertes surveillees (1975), Godin complete Ie cycle des cantouques; il y donne cours ala meme hargne, ala meme revolte, ala meme detresse et a la meme passion. Le cycle des cantouques, entrepris en 1963 et poursuivi jusqu'en 1975, represente I'acme de cette oeuvre. Les recueils dits de jeunesse (Chansons tres naives, Poemes et Cantos et Nouveaux poemes) Ie prefigurent, tandis que 56 LETTERS IN CANADA 1987 ceux des annees quatre-vingt, s'ils vehiculent encore une dimension collective, ne possedent plus la meme vehemence. Autre epoque, autre maniere, nous en convenons. Mais cette absence de vehemence fait ressortir encore plus certaines naivetes d'ecriture qui ont toujours marque, a des "degres divers, la poesie de Gerald Godin. Les modes ne semblent pas emouvoir Yves Prefontaine; sa poesie n'en porte guere les traces. Ce constat ne saurait rendre obsolete la demarche creatrice du poete, ni, a l'inverse, garantir la qualite des poemes que contient Ie Desert maintenant (Ies Ecrits des Forges, 103). Prefontaine fait Ie guet, aI'ecoute des bouleversementsinterieurs et des evenements sociaux qui affectent et conditionnent l'etre. Trois isotopies ressortent du livre; celles du mineral, du vegetal et de Ia Iumiere. Le poete met constamment en valeur Ia dualite de ces differents elements." Ce proced~ accentue la quete d'un sujet dont les poemes contiennent Ies marques indelebiles d'experiences contraires, mais tendues vers une comprehension transcendante du temps premier de I'existence. Cette volonte de 'renommer chaque chose' cree une tension entre Ie passe, Ie present et l'avenir. Ainsi Ie present, qui se nourrit notamment de regret, de nostalgie et de desillusion, est vecu sur Ie mode de Ia depossession, individuelle et collective. Avec Ie Desert maintenant, Prefontaine renoue avec Ia fureur verbale, I'impetuosite et Ie deferlement syntaxique qui caracterisaient ses premiers livres: Toutefois, a la deuxieme partie du recueil, ou plusieurs poemes versent dans Ia verbosite, nous preferons Ia pre~ere, celle ou Ie poete .consacre des textes a Anton Webern, a John Coltrane et a ses impressions de voyage en Chine. De plus, certains poemes de cette premiere partie proposent une vision saisissante de l'avenir. II n'y aura plus un regard d'homme Je ne sais pas si les femmes auront encore des yeux Mais je sais qu'ala fin sur des blocs de pierre brftlee jusqu'au coeur -c'etait des villes Tournera , phare terrible terrifiant etonne Ie regard irradie d'un enfant cherchant l'ombre d'un dieu parmi les ruines. (63) Apres avoir celebre Ies corps habitables, apres avoir connu la faim souveraine et l'intime soif, apres avoir assume Ies heures nues"etles jours d'atelier et apres avoir traverse Ie chemin brule, voici que Jean Royer, POESIE 57 dans Depuis I'amour (L'Hexagone/la Table Rase, 65), reconcilie Ie passe et l'avenir, 'la nostalgie des origines' et 'Ie futur qui commence.' Cette poesie unit un 'je' et un 'tu' en un 'nous' qui nomme les sujets amoureux. Cette osmose s'actualise en un double mouvement: d'une part, la quete des origines et, d'autre part, une 'presence inaugurale.' Et, au centre de cette naissance a soi et a l'autre, l'amour que Royer sacralise padois, mais qui n'est jamais desincarne. Pour Ie poete, Ie discours amoureux participe moins d'une volonte d'effraction que d'une conscience paroxystique d'etre. Des lors, l'amour surdetermine tout: les origines, la poesie, Ie temps. Par ailleurs, fidele a sa pratique d'ecriture, Jean Royer en appelle a d'autres poetes. Qu/il cite Miron, Milton, Giguere, Charron, Mario Luzi, qu'll evoque Michel Beaulieu, Marie Uguay, Anne Hebert ou qu'il fasse allusion au 'reel absolu' et aux 'outils nuptiaux,' ces multiples voix s'harmonisent avec la sienne. Disparait, dans Depuis l'amour, la facheuse impression que les poNes cites empietent demesurement sur la poesie de Jean Royer. Chant general ou se melent bribes de l'Histoire, celebration charnelle, memoire familiale, ancestrale, populaire, exil et errance, Orchidee negre (Triptyque, 103) d'Anthony Phelps est porte par une poesie aux rythmes amples et aux images foisonnantes. Deux parties divisent Ie recueil: 'Orchidee negre,' un poeme d'une seule coulee lyrique, et'Typographie celeste,' une suite de textes rediges entre 1981 et 1983. Chantre d'une 'Amerique metisse,' 'de la Caralbe diversifiee,' d'un 'espace negre,' Phelps affirme: 'Depuis plus de vingt ans je vis tel un voleur / fracturant Ie passe des autres / pour m'inventer une archeologie.' La poesie de Phelps, qu'elle cherche a decrypter Ie temps present, Ie 'Passe torture,' 'la marche du siecle,' qU'elle chemine vers Ie 'lieu premier,' qu'elle se fasse temoin de ses coleres, de ses detresses ou qu'elle stigmatise telle 'floraison de tortionnaires,' prend tout son sens a partir du desir charnel et de la memoire tantot 'en friche,' tantot 'a la derive,' tantot 'brouillee.' Force centripNe, celle-ci rythme les grands axes semantiques du recueil. Malgre, padois, une eloquence trop appuyee et un lyrisme qui demanderait ici et la une plus grande concentration, un souffle balaie Orchidee negre, qui atteint par moments une grandeur epique. Le Rituel de l'eblouissement (Louise Courteau, 143) de Michel Muir ne porte aucune trace de la poesie telle que la pratiquent et I'experimentent les poetes quebecois contemporains. Muir revendique a la fois une parole adamique et anagogique; officiant du verbe, il vit entre microcosme et macrocosme pour en celebrer l'harmonie, pour communier avec Ie 'rythme originel.' Nul doute que, dans cette perspective, Ie Rituel de l'eblouissement participe de la co-naissance telle que Claudell'a definie. Muir franchit un seuil a partir duquel I'etre et Ie monde se rejoignent, 58 LEITERS IN CANADA 1987 pour vivre 'a bout portant dans l'eternelle memoire des choses.' Nos Modernes brocarderont peut-etre pareille demarche, prendront pretexte des pamphlets de Muir pour discrediter ou occulter sa poesie. Pour notre part, nous nous en tenons aux poemes qui agissent, parfois, comme des centres irradiants. Certes, l'utilisation excessive des deux points et de la phrase exclamative, la recurrence obsessionnelle des memes termes (lumiere, Parole, Verbe, arne, etc), Ie deferlement torrentiel des metaphores ainsi que l'emploi suranne de quelques-unes d'entre elles portent un dur coup acertains poemes. Une plaquette de trente pages ne pourrait s'en remettrei un livre de cent trente poemes Ie peut. Le Rituel de l'eblouissement n'est pas tributaire des modes poetiques contemporaines. Avant tout, cette poesie nous fait entendre la voix d'un homme qui '[va] et vien[t] lie par [lui]-meme vers plus haut que [lui].' Un lyrisme richement image, d'une force expressive peu commune, preside ala celebration de la naissance, du jour, des mots et de l'enfance dans Effetspersonnels (I'Hexagone, 47) de Pierre Morency. Sans meconnaitre 'Ie regne du pire,' 'l'effritement des mots' et les vertiges du 'rien,' la poesie de Pierre Morency, avec ses rafales de mots, cherche atemoigner que la vraie vie n'est pas ailleurs, qu'elle peut s'inscrire au coeur meme du quotidien, dans l'apprehension des etres et de la nature. Le rnatin, Ie jour, Ie soir, la nuit, l'ete, I'hiver, la chambre, la ville, Ie fleuve et l'ile constituent les balises spatio-temporelles d'Effets personnels. Ces points de repere, banals en eux-memes (sauf pour Ie fleuve et I'ile, lieux evacues, sous peine d'heresie, de la poesie des jeunes generations), Ie poete les investit d'un coefficient poetique qui procede de la celebration et de I'exuberance, mais qui ne doit rien aux naIvetes desolantes avec lesquelles les chantres inspires de la nature donnent libre cours aleur epanchement. Ni ravissement beat ni pittoresque ecule, la poesie de Morency prend acte de la tourmente consecutive anotre epoque, mais la conjure aussitot parl'effet combine de la nature et d'une parole volontiers torrentielle mais capable aussi de retenue, comme I'attestent les poemes en vers qui terminent Effets personnels. Dans 'Petit dejeuner,' suite de quinze poemes numerotes qui inaugurent le Sourire des chefs (Ie Noroit, 106), Michel Savard radioscopie Ie quotidien englue dans sa torpeur matutinale. Vers brefs, Iyrisme concentre , regard distance crayonnent Ie rituel desolant auquel se livrent chaque jour les 'debris d'humanite.' A cette premiere suite succede 'Mur de briques,' ou Savard, en vingt poemes numerotes, retrace la genese d'un mur, sa presence et son rayonnement. Une etrange complicite unit Ie narrateur etIe mur: 'nous conversons / lui et moi / dans les delices du sang pressenti / que developpe l'atmosphere sensible / sur la plaque metropolitaine / la nuit' (52). Enfin, outre les dix-sept poemes de 'Cela,' Ie Sourire des chefs se clot sur 'Nationalismes' OU Michel Savard, en 28 septains POESIE 59 numerotes, trace un etat des lieux postreferendaire. A l'indifference, aux lamentations et a l'exaltation, Ie poete prefere l'ironie et la derision, persifiant meme au passage 'Speak white' de Michele Lalonde: '''Nous savons" la belle affaire / "que nous ne sommes pas seul'" (92). Temeraire, Savard n'a pas craint d'exhumerune problematique evacuee peu a peu de la poesie quebecoise par les generations de la Barre du jour et des Herbes rouges et par celles qui leur ont succede. Avec Ie Sourire des chefs, Savard dresse un bilan implacable de nos defaites et de nos compromis. Les tenants de l'onomastique apprecieront Ie livre d'Hugues Corriveau , Mobiles (les Herbes rouges, 99). Plusieurs termes (les corps, les os, les rocs) se pretent en effet a ce genre de recherche. Quoi qu'il en soit, dans Mobiles, la hantise de l'immobilite, la perte apprehendee du souffle, la mort per~e ala fois comme pulsion desirante et comme l'achevement du desir incitent un homme et une femme. a prendre possession d'eux-memes par de multiples et incessantes danses chamelles. Dans Mobiles, tout se deplace, se meut et danse: 'I'architecture de I'air' et les ombres, les os et les squelettes,les liquides (sperme, salive, larmes, sueur) et les corps. Outre certains mots (corps, desir, mort, mouvement) qui reviennent inlassablement et que l'auteur tente d'investir, de charger de multiples significations, de divers rythmes, remarquons la presence obsedante du 'souffle.' (Qu'il s'agisse du souffle sacrifie 'II se meurticidu souffle tout autour pour que l'amour aspire a sa fin'), ou 'du souffle infini de sa jouissance,' celui-ci signifie une victoire du desir sur la mort, une fa~on de ne pas mourir 'a l'histoire du monde,' de contrer 'la terreur qui allait ensevelir leur presence.' " La tension entre l'ecriture et l'inlassable fuite en avant erotique confere a Mobiles son pouvoir d'attraction. En revanche, ce pouvoir n'est pas constant; soit que l'ecriture connaisse des rates, soit que cette inlassable fuite n'evite pas toujours I'affectation. En guise de conclusion, soulignons qu'en 1987, avec Ils ne demandaient qu'a braZer, la collection 'Retrospectives' de l'Hexagone retrouve tout son lustre et qu'il ne devrait pas etre temi, en 1988, par la reedition prevue de la plupart des recueils de Pierre Morency sous Ie title de Quand nous serons. De meme, cette maison a publie Ie meilleur livre de l'annee: Zes Heures de Femand Ouellette. Voila pour les poetes consacres. Parmi ceux qui en sont a leur debut, mentionnons Brescia, miracle de la justice amere d'Yves Gosselin, Inlandsis de Marie-Claire Corbeil et Montreal brale-t-elle? d'Helene Monette. Enfin, constatons Ie bon travail des Ecrits des Forges qui ont porte a l'attention du public lecteur, outre Helene Monette et les poetes fran~ais Guillevic, Franck Venaille et Patrice Delbourg, le Desert maintenant d'Yves Prefontaine, qui renouait ainsi avec l'edition apres six ans de silence, et, surtout, Sursis d'Alphonse Piche, l'une des surprises les plus agreables de l'annee. ...

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