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ROMANS 41 Romans 1/ JANET M. PATERSON Un professeur en etudes canadiennes de l'Universite de New Delhi m'a demande, iI y a quelques semaines, de lui recommander plusieurs romans quebecois et francophones publies en 1<)90. II m'a explique qu'iI se proposait de lire ces romans pour en degager les preoccupations sociales et personnelles ainsi que les formes d'ecriture. Ce faisant, iI esperait sonder l'imaginaire collectif de la societe canadienne contemporaine. Apres un peu d'hesitation, je lui ai suggere cinq titres retenus pour Ie prix du Gouverneur general 1990 et trois autres qui ont recemment fait couler beaucoup d'encre dans les revues et les journaux quebecois. Me transposant, pour cette chronique, tant bien que mal dans ce regard exterieur, etrangera notre culturecanadienne, je vals examiner ces romans afin de voir comment ils nous parlent de la 'couleur de notre temps: Si on s'interesse ala vie contemporaine, au va-et-vient des gens dans les rues montrealaises, a I'actualite Il\ediatique, aux questions fortement debattues du cosmopolitisme, de la pluralite linguistique, iI faut lire Babel, prisedeux (VLB, 411, $22.95) de Francine Noel. C'est en effet Montreal, dans sa dimension multiculturelle et heterogene, qui est evoque dans ce roman. 0'Oll Ie titre Babel qui pose de prime abord Ie dilemme de l'eclatement des langues et de la fragmentation d'une unite culturelle. Moderne, actuel par ses themes et son langage, Ie roman I'est aussi par sa structure qui adopte la forme fragmentee du journal intime. Astucieusement choisie, cette structure permet ala narratrice, Fatima, de passer aisement de I'intime au social, du banal au serieux, pour explorer la question de la multiplicite des langues et des cultures. Le resultat, c'est un roman interessant qui donne un aper~u nuance non seulement de la vie d'une femme celibataire a l'epoque contemporaine ('Je suis sedentaire, urbaine, montrealaise et orthophoniste'), mals aussi de la vie quotidienne dans un quartier Oll l'espace social des 'vrais' Quebecois s'ouvre de plus en plus aux cultures immigrees, en I'occurrence celie des Hassidims et des Grecs. En s'attardant sur la question de la langue, Francine Noel aborde une probIematique qui se manifeste dans la plupart des romans qui seront discutes dans la premiere partie de cette chronique. Comme on peut Ie deviner a partir du titre Le Passe compose (Boreal, 200, $18.95), Michele Mailhot examine aussi la notion de la langue, mais en fonction de l'ecriture. Qui plus est, ala maniere de Babel, prise deux, elle I'explore par Ie bials du journal. Apres avoir termine une carriere comme redactrice dans une maison d'edition, l'heroine Judith decide d'ecrire son propre livre. Celui-ci prendra forme dans trois cahiers differents: vert pour la poesie, bleu pour Ie journal intime et rouge pour la fiction. Ce que ce melange generique permet, c'est une interrogation sur l'ecriture, sur les mots et sur la 42 LEITERS IN CANADA 1990 litterature. En meme temps, Ie texte traite avec finesse Ie rapport du sujet feminin au Iangage et it Ia realite. Facile it lire, ce roman proIonge Ie questionnement sur I'ecriture qui se manifeste dans Ie roman quebecois depuis Ies annees soixante. Ces narratrices feminines attirees par I'introspection representent-elles un motif dans Ie roman contemporain? On en a bien I'impression en Iisant Osther, Ie chat criblli d'etoiles (Quebec/Amerique, 346, $24.95) de France Vezina carde nouveau Ie discours est, pour Ia pIupar!. prisen main par une jeune fille, tres jeune dans ce cas puisqu'elle n'a que douze ans. Comme dans Ies deux autres romans discutes, cette instance narratrice projette un regard feminin sur Ie moi et sur Ie monde. Le feminin est d'ailleurs ampIement figure dans I'intrigue qui raconte Ies nombreux conflits se dressant entre trois generations de femmes - de I'adoIescente Alice jusqu'a Ia grand-mere Marie en passant par sa mere Zoe. Ce cadre matriarcaI permet Ie developpement de pIusieurs themes: Ie retour au passe, I'enfance et Ia revoIte. Ce n'est pas toutefois I'anecdote qui fait la force du roman mais I'ecriture. Ecrit dans un style qui rappeIIe ceIui de Rejean Ducharme, Ie roman est parseme de jeux de mots qui visent souvent Ia question du Iangage: Enceinte; nJ. Ce qui entoure un espace ferme et en interdit I'acces ... une femme enceinte, c'est un espace ferme dont l'acces est interdit. Inventive, Iudique, I'ecriture donne une force Iiberatrice it une intrigue qui exprime, au bout du compte, Ie desir d'un eclatement personnel, d'une liberation emotive: La revolte! Ca meregarde droit dans les yeux. Et je n'ai pas froid aux yeux. D'ailleurs jesuis chaude partout. J'a; les mains et 1es pieds chauds. La peau chaude. Cest a cause de mon energie nuc1eaire, mes origines remontant jusqu'a une certaine constellation ou je retoumerai. De ces trois romans, ecrits par des femmes, portant tous sur !'interiorite d'un personnage feminin, passons maintenant it un univers d'auteurs et de personnages masculins. La transition est facile II faire puisque Ie roman de Vezina rappelle, comme on I'a dit, I'ecriture d'un des auteurs Ies plus importantsdans Ie roman quebecois contemporain: Rejean Ducharme.La publication en 1990 de son roman Devade (GaIlimard/ Lacombe, 257, $24.95), apres une periode de quatorze ans de silence, a constitue I'evenement Iitteraire de Ia saison. Enfin, se sont exc1ames Ies critiques, un autre roman du mysterieux Ducharme! Mais Ia reception du roman n'a pu se faire sans passer par une comparaison aux ceuvres anterieures. D'un compte rendu a I'autre, on evoquait en particulier L'Avallie des avaIes (1966) et L'Hiver de ROMANS 43 force (1973), comme si Divade prenait son sens par ses liens intertextuels. Cette reaction etait previsible et, en fait, surdeterminee par Ie texte qui ne renvoie passeulement aux ceuvresanterieures mais au poeme de Rimbaud intitule 'Bottom,' puisqu'il s'agit Iii du nom du heros de I'intrigue. A partir du sobriquet Bottom se degagent de nombreux themes. Pour commencer, Ie nom est ii prendre au pied de la lettre puisque Ie heros est, comme il Ie dit lui-meme, un 'rada,' c'est-ii-dire un pouilleux qui se complait dans les bas fonds de la societe. Fraichement sorti de prison, il a une 'gueuled'evade' - d'0"Ie titre du roman qui annonce ainsi une ecriture ludique. Comment peut-oninterpreterce roman en adoptantun regard exterieur? Comment saisir Ie sens d'une contre-culture qui se nourrit, au sens litteral, de drogues et d'alcool et, au sens figure, de pessimisme? Ne faut-il pas avoir une imagination plutilt triste pour exprimer une vision sociale ii ce point sombre que Ie narrateur affirme: 'Ce n'est pas une vie. Avec les ordures dont je la remplis, c'est une poubeUe'? Que dire, par ailleurs, de la nostalgie qu'on trouve pour les Etats-Unis dans Ie roman? Si I'ceuvre est difficile ii cemer dans ses proportions sociales, c'est peut-etre parce que, au fond, eUe s'attache 11 representer un element marginal dont les dimensions symboliques ne sont pas evidentes. Et pourtant, ainsi que dans les romans anterieurs de Ducharme, une poesie se degage de cet univers sombre Ie sortant comme par magie de ses egouts, par la magie eclatante des mots et des images: Je suis rentre en pleine nuit blanche. Taute 1a neige tombee sur Ie Boulevard remontait au del sur les marches des grands coniferes. On pourrait croire que Ie theme de la contre-culture est ii la mode puisqu'il se manifeste aussi dans Ie roman de Christian Mistral intitule Vautour (XYZ, '54, $17·95)· Une contre-culture qui rappeUe les annees soixante par les aUusions aux Grateful Dead, aux inscriptions 'Peace and Love' sur les medaillons, sans oublier les renvois it la mythique Janice Joplin.Mais111 0"Ie roman sedistingue de Devade, c'est par une representation plus complexe et nuancee de certaines realites sociales. Aussi, loin de nous enliser dans un univers melancolique, Ie texte nous incite ii la reflexion. On ne peut, par exemple, etre indifferent au theme de la mort puissamment evoque par Ie deces du personnage Vautour it !'age de vingtsept ans. Le roman represente une meditation grave et emouvante sur l'amitie et la mort: rai voulu que rna plume puhlie ton passage. Reste, reste encore un peu. Tu n'es pas mort au bout de ton age. Tu etais un lotus dans la boue, et je veux que ta memoire encapsuIee ici se marmorise. 44 LETTERS IN CANADA 1990 Par ailleurs, Ie roman evoque Ie theme de l'absence -l'absence du pere, I'abandon des enfants par leurs parents. On a l'impression qu'une dissolution generaJe regne sur les liens sociaux et personnels; un desarroi que est mitige uniquement par Ie souvenir de I'amitie et par la consolation de l'ecriture. Si La Mauvaise Foi (Quebec/Amerique, 266, $22.95) de Gerald Tougas entretient des liens avec D€vade et Vautour, ce n'est que par un recours frequent a des mots anglais. II s'agit en fait d'un roman de tout autre facture ne serait-ce que par Ie traitement classique des dimensions temporelles et spatiales. La Mauvaise Foi, qui a re,u Ie Prix du Gouverneur general 1990, etonnera peut-etre les etrangers par sa dimension francomanitobaine . Car non seulementI'auteurest-il ne au Manitoba, mais len?cit se situedans les plaines de l'Ouest canadien. On rencontre ainsi, encore une fois, Ie pluralisme culturel francophone dont il a ete question plus haut. Se souvient-on de La Modification de Michel Butor? La Mauvaise Foi s'y apparente de plusieurs fa,ons, en particulier par Ie motif du voyage reel et interieur. Voici Ie noyau de I'intrigue: Ie narrateur Marcel entreprend un voyage de Montreal a son village natal de Sainte-Luce. Pendant cette traversee, il fait Ie recit imaginaire de la vie de sa sceur Irene, morte iI dixneuf ans. Dans ce trajet, plusieurs sujets sont abordes: I'atmosphere etouffante des villes de province, I'oppression familiale, I'erotisme et la sensualite, et aun niveau politique, Ie bilinguisme. On remarql.\e, en outre, que Ie roman privilegie une relation fraternelle iI contours presque incestueux puisque I'objet principal du recit imaginaire de Marcel est de raconter I'histoire de la vie amoureuse d'Irene. Bien ecrit, emouvant dans ses descriptions des plaines manitobaines, ce roman nous atteint par I'ampleur de son souffle: Regardez ce champ d'orge aux barhes bruissantes, qui chuinte comme la fin d'un etemel ressae dans son long rectangle net, sans bavures, eet autre de bIe. De luzerne. Mais, en meme temps, Ie roman nous rappelle ala realite politico-culturelle canadienne en probJematisant la question de la langue, ou devrais-je dire des Iangues, par Ie personnage Christine, la 'parfaite bilingue: qui tente de seduire Marcel. Articuler avec succes Ie politique au prive, Ie reel a I'imaginaire, c'est certainement Iii une autre qualite de ce beau recit. Les romans jusqu'ici examines ont en commun de nombreux traits: I'interiorite, Ie souvenir et la question du langage. De plus, l'espace represente est soit montrealais ou canadien alors que Ie temps recouvre la periode depuis 1960. C'est a dire, en d'autres mots, que ces romans explorent par des regards feminins ou masculins la realite personnelle et collective de notre societe ou Ie conflit des langues sous-tend celui de l'identite culturelle. On remarque, par ailleurs, la presence d'un certain ROMANS 45 cosmopolitismecree par des ",ferences aux Etats-Unis ou par des allusions 11 la culture arnericaine. De ce rapide bilan se degage Ie portrait d'une societe non pas dechiree au revollee mais certainementanxieuse. Est-ce dire que les debris du lac Meech hantent l'irnaginaire de nos ecrivains? Mais, en derniere analyse, nos romans ne parlent-ils que de nous? Que de notre espace social et geographique? Certainement pas! Pour preuve, les deux derniers textes que je vais rapidement aborder. I.e Collier d'Hurracan (Quinze, 237, $19.95) de Louis Lefebvre nous situe ala Barbade vers 1832 pour raconter l'histoire des Africains dans les lies antillaises. Comme on peut bien se l'irnaginer, c'est une histoire de cruaute, d'oppression et de tentatives vaines de liberation. Mais si cet aspect du recit peut eclairer Ie regard qu'on porte sur la situation politique contemporaine en Afrique du Sud, il faut souligner aussi que Ie roman est interessant par ses assises historiques europeennes. Le heros, qui tente de liberer les Noirs, est Ferdinand Paleologue,dernierde la dynastie grecque qui, apres avoirregne aConstantinople, est mort 11 la Barbade en 16']0. Les lecteurs qui airnent les recits denses, les recits d'amour et d'aventures les transportant dans des pays lointains au la tragedie humaine se deploie dans des espaces exotiques, apprecieront certainement la richesse de ce roman. La narratrice Alice d'Osther, Ie chat cribte d'etoiles avait deja attire notre attention par son jeune age; mais au niveau de l'originalite, elle est surpassee par Ie narrateur de{irome ou dela traduction (Lemeac, 241, $20.00) qui est un lion! C'est effectivement Ie compagnon du saint legendaire qui raconte I'histoire d'un des peres de l'Eglise, homme rendu celebre par sa traduction de la Bible en latin. Avec humour et finesse, Ie lion dresse de nombreux tableaux de la vie du saint tout en faisant revivre des temps anciens ou la question de la langue etait aussi irnportante qu'1I I'epoque actuelle. Ce second valet des Tryptiques des temps perdus de Jean Marcel se situe 11 rni-chemin entre l'essai et Ie roman par son erudition et par la finesse de l'intrigue. Apres avoir lu tous ces livres, mon collegue de New Delhi pensera sans doute que des siecles separent des romans comme Jerome de la traduction et Osther, Ie chat cribl. d'etoiles; non seuiement des siecles, mais des espaces et des styles d'ecriture. Mais ce qui se manifeste incontestablement dans tous ces recits, ce qui est mis au jour, outre la question du langage et de notre pluralite culturelle, ce sont les liens que nous entretenons avec notre passe personnel, mythique et historique. Notre passe, que les romans de l'annee 1990 font revivre par la voie du discours intirne ou historique. 2 / PIERRE HEBERT Le bonheur n'est pas, 11 proprement parler, un theme particulierement frequente par Ie roman: Ie bonheur n'a pas d'histoire, au sens strict du mot, ...

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