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  • "Annuler les images, les casser":L'image dans la poésie d'André du Bouchet
  • Clément Layet

Si quelques personnes devaient trouver une telle langue trop peu conventionnelle, alors il me faudrait leur dire: je ne saurais faire autrement. Par une belle journée, en effet, presque toutes les façons de chanter se font entendre, et la nature, d'où ces chants proviennent, les reprend également.

(Hölderlin, Friedensfeier)

Dans un de ses carnets de l'année 1953, André du Bouchet avait indiqué la règle qu'il allait désormais suivre pour écrire: "annuler les images, à mesure qu'elles surgissent, les casser."1 Comment comprendre ce mot d'ordre iconoclaste? Comment comprendre qu'il soit prononcé par un poète, dont l'art, selon sa conception traditionnelle, consiste au contraire à faire surgir des images dans l'esprit? Pour ne pas interpréter cette annotation de façon seulement négative, il faut revenir aux écrits immédiatement antérieurs dans lesquels du Bouchet élabore sa propre poétique. La lecture de ses poèmes, essais et carnets du début des années 1950 révèle une rapide évolution de son écriture vers un premier accomplissement: tandis que les cahiers et carnets de 1949, 1950 et du début de l'année 1951 comportent encore des récits, des descriptions, des images reconnaissables, une bifurcation est prise dans les carnets de 1951, 1952 et 1953, qui ne contiennent bientôt plus rien de tel. S'agit-il toutefois d'une rupture définitive avec l'image, comme pourrait le laisser penser la formule de 1953? Dans la mesure où, dans l'esprit d'André du Bouchet, le poème ne cesse pas d'être un moyen de montrer la vie, sa poésie demeure un art de l'image, mais dans un sens tout autre, qu'il s'agit précisément d'éclairer. [End Page 137]

Le cahier tenu par André du Bouchet durant l'été 1951 porte à la date du 15 août les annotations suivantes:

Levé aujourd'hui à l'aurore.

Le battant blanc. La lueur sourde gagne une à une les poutres du plafond. Je me réveille tout à fait. L'étoffe blanche allumée sur le dossier. Le jour gagne les draps défaits. Encoignures. Je tire un peu le rideau: un grand coutelas livide refoule les nuages noirs et tassés, le ciel pavé de vagues,—naissance du bleu. Une fine lame de feu s'insère à l'extrémité entre la paroi des collines et le mur des nuages. Quelques taches noires comme de l'encre se détachent sur cette lamelle—arbres. La terre décolle. Changement d'aiguillage. L'heure où les sphères qui s'emboîtent se descellent. La ligne de suture est visible. La soudure. Heure éternellement brûlée par le sommeil, taie de l'homme.

J'ouvre la porte. Cette étrange lueur sourde, blancheur aveugle, sans éclat, gagne le pas de la porte. Il faut dire qu'il n'y a pas de cris. Je veux voir le point d'attache du soleil qui monte à droite de la maison.

Falaise—les larmes me viennent presque aux yeux devant cette petite valve de feu dépassant la terre qu'a dû si souvent voir Reverdy. "Le spectacle le plus émouvant qu'offre la Nature"—Règle de feu. Je marche droit dans la tête sourde. Marche à pas de loup. Peur d'être dévoré par les chiens. Mais je n'entends aucun aboiement. Le ciel est piqué de cris d'oiseaux invisibles. Cris des oiseaux dans la rosée. Espadrilles mouillées. Au retour, une vache tousse. Ce n'est pas la lumière de la réalité. Ce brasier dévore le ciel, sans crépiter. Il s'avance comme un planeur. On dirait qu'on est sorti de la terre. La terre somnambule. En raison de cet engourdissement total si bien perdu dans le jour brutal où j'écris maintenant. La lueur qui filtre à peine du sol, et les pierres blanches du chemin. On voyait un point lumineux, le roulement d'une voiture à l'autre bout du monde, à l'extr...

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