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  • Vauvenargues ou le séditieux. Entre Pascal et Spinoza: une philosophie pour la seconde nature
  • Éric Mechoulan
Vauvenargues ou le séditieux. Entre Pascal et Spinoza: une philosophie pour la seconde nature. Par Laurent Bove. (Libre pensée et littérature clandestine, 44). Paris: Honoré Champion, 2010. 336 pp.

Vauvenargues fait partie de ces auteurs que l'on croit connaître à force de ne pas les étudier. Comme on le refoule souvent du côté des petits moralistes, les textes qu'il a publiés sont rarement pris pour rigoureux et puissants. Or, c'est tout le mérite du [End Page 558] travail de Laurent Bove d'avoir pris très au sérieux cette pensée et d'en avoir dégagé d'une manière systématique les reliefs intellectuels les plus saisissants. Vauvenargues demandait lui-même à son lecteur de le 'lire doucement': une éthique de la lecture qui est enfin suivie à la lettre. Le remarquable ouvrage de Bove permet de situer cette œuvre dans la biographie très courte de Vauvenargues, dans les problèmes posés par la publication de ses textes, mais aussi dans l'histoire de la philosophie. Or, ce qu'il nous montre éloquemment est non seulement l'héritage d'une pensée des Lumières radicale et de la libre pensée, mais surtout une réflexion très organisée qui, sous les apparences parfois de l'anodin, soutient des positions aussi fortes que celles d'un Spinoza. En effet, en liant vertu et puissance d'agir, corps et désir, Bove souligne la proximité avec l'empirisme de Locke, mais surtout avec la philosophie spinoziste. Cela permet d'ouvrir la scène de la réflexion aux forces sociales de l'imagination et de l'amour propre, de l'ambition et du désir de gloire. Ainsi, c'est une philosophie politique originale qui est affirmée, reprenant, répondant et allant aussi parfois contre celles de Boulainvilliers comme de Pascal. Les notions fondamentales que sont force, coutume et imagination dans l'anthropologie des Pensées servent, chez Vauvenargues, à élaborer les formes du vivre ensemble à partir même du plan d'immanence de la seconde nature. Il reprend également chez Boulainvilliers les rapports de force, voire rapports de guerre, originaires du social qui permettent d'éviter de poser un illusoire 'contrat social'. Pourtant, il ne cède pas non plus aux charmes de l'intérêt et tente plutôt de souligner l'aspect de productivité infinie des hommes en société, en liaison avec une ouverture ontologique au temps de l'action. Ainsi, la force et l'intérêt peuvent-ils être les principes effectifs de la politique (selon un fond machiavélien), mais ils sont aussi à la source du désir de liberté et de l'ambition des vertus. C'est alors moins l'oppression par un principe transcendant qui subsumerait les différences que l'affirmation immanente d'une unité libératrice qui est adéquate à la productivité même du réel tel qu'il est. La puissance de la réflexion de Vauvenargues est qu'elle ne fait pas l'économie des sentiments. Loin de les tenir pour illusoires, les sentiments font partie de l'économie de la politique et de la production de savoir. C'est pourquoi l'expérience la plus familière doit faire l'objet de l'attention du sage. Vauvenargues tente de lier du même mouvement naturel les multiples liens de l'action quelconque aux réflexions les plus poussées conceptuellement. Il se trouve alors entre Pascal (sans ses implications transcendantes) et Spinoza (sans son organisation systématique).

Éric Mechoulan
Université de Montréal
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