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  • Le Goût de l'inachèvement; esthétique et narration dans l'œuvre de Marivaux
  • Servanne Woodward (bio)
Le Goût de l'inachèvement; esthétique et narration dans l'œuvre de Marivaux par Trude Kolderup Paris: L'Harmattan; Oslo: Solum Forlag, 2010. 276pp. 27€. ISBN978-82-560-1678-5.

Une thèse norvégienne parrainée par les spécialistes français et norvégien est ici remaniée pour répondre de l'inachèvement romanesque chez Marivaux. Marivaux se servirait de lui-même comme modèle anthropologique (15) pour définir l'humanité curieuse et éternellement disponible à l'actualité d'un présent sans clôture. Par ailleurs, La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu sont deux narrations d'esthétique réaliste rivalisant pour « mieux exprimer le réel » (18). L'inachèvement tiendrait à un renouvellement du genre romanesque qui s'oppose à la clôture (conclusion, borne raisonnable ou autre, vraisemblance) et s'adapte à la livraison périodique comme mode de distribution, dans un effort d'élargir la base des lecteurs et d'échapper à l'influence des spécialistes et gens de métier qui contrôlent la publication littéraire. Un récit populaire inachevé pourrait aussi être une assurance de « marché » vis-à-vis du public qui voudrait avoir la suite du roman, explicable par la banqueroute de Law qui aurait ruiné des auteurs tel Marivaux (34). En 1750 une interdiction touche tous les périodiques. Une conclusion qui fait triompher le bien contre le mal semble requise par l'émotion du lecteur apaisé et réconforté par un monde conforme aux bonnes mœurs et par l'idée d'un monde équitable et juste. Ainsi, Marivaux renouvelle le roman qu'il élabore progressivement avec des lecteurs qui réagissent à leur lecture. Marivaux suivrait le « vagabondage naturel de la pensée » et du dialogue, choisissant avec Trivelin de La Fausse suivante d'en terminer « là » en guise de fin.

Trude Kolderop justifie son utilisation anachronique des termes « esthétique » (paru pour la première fois en France en 1776 dans l'Encyclopédie (48), et « réalisme » selon Henri Coulet comme « détail révélateur » (54). Marivaux s'intéresse à la tournure de phrase et à l'expression (54-55) et à la position psychologique qu'elle révèle. Il s'agit encore d'une nature « rococo » s'appuyant sur les revers d'humeur, les rêveries et les entre-deux médians des mouvements et des qualités, et le beau désordre restant plus ou moins hors de porté de l'entendement ou de la définition (64-65). Une telle écriture séduit par le sentiment comme Marianne ou en étant capable de plaire de façon rieuse, comme Jacob.

« Couper court » dans le contexte du roman serait une volonté de faire résider l'écriture dans le charme, les « négligences heureuses » et hors de l'ennui et du « travail » (73). Les descriptions féminines de Marivaux établissent que le beau figé est inférieur au mobile « je ne sais quoi » [End Page 286] qui engage le cœur comme les beaux négligés vagues et ultra suggestifs des coquettes du Spectateur français. Le portrait réaliste de l'humanité poserait que « les hommes sont potentiellement, mais pas effectivement semblables » (106), et les ressemblances exposent donc paradoxalement les différences entre les êtres. Marivaux crée des personnages qui— comme lui-même en tant qu'auteur—sont particulièrement attentifs à leur réception: il veulent charmer, tenir en haleine, divertir.

La deuxième partie analyse « la narration ouverte dans La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu ». Il s'agit de définir le « marivaudage » qui dans le théâtre de Marivaux prend fin avec une conscience de soi et un engagement total contractuel et réciproque voire corporel (un mariage concluant), lorsque la langue perd de sa duplicité et désigne une essence identitaire fixée. Kolderup note que pour le roman, Marianne n'épouse pas Valville infidèle, et Jacob épouse sans cesser de porter les yeux ailleurs. L'analyse porte sur le regard et l'inconstance de l...

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