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  • Logique de la création. Sur l’Université, la vie intellectuelle et les conditions de l’innovation
  • Morgan Jouvenet
Geoffroy DE LAGASNERIE. - Logique de la création. Sur l’Université, la vie intellectuelle et les conditions de l’innovation. Paris, Fayard, 2011, 270 pages.

L’ouvrage de G. de Lagasnerie s’inscrit explicitement à contre-courant du mouvement de défense de l’autonomie de la recherche qui a récemment provoqué la publication en France, mais aussi bien au Royaume-Uni ou aux États-Unis, d’une série de textes destinés à réaffirmer son importance face aux « intrusions » de l’État ou à la « marchandisation » de la connaissance. Cette période de crise – ou au moins de profondes remises en question – offre plutôt selon lui une occasion de faire le bilan des dernières décennies en matière de productivité universitaire. Point de [End Page 155] calculs bibliométriques et autres batailles de « facteurs h » dans les pages de cet ouvrage, cependant. Le constat de G. de Lagasnerie est d’une autre nature ; il vise la force créative que représente « l’Université » aujourd’hui, quasi nulle selon lui. L’essentiel du livre développe un diagnostic des maux dont souffrent, sans le savoir, les universitaires français, et appelle à refonder leur utilité publique sur l’innovation théorique et l’engagement politique. G. de Lagasnerie « se place du côté de la pensée critique et de la recherche d’avant-garde », contre la « recherche qui ne sert à rien et ne change rien » (p. 59).

Sous-titré « Sur l’Université, la vie intellectuelle et les conditions de l’innovation », ce livre articule ces thématiques dans trois chapitres consacrés respectivement à « l’attitude créatrice », au cas de Michel Foucault et à l’histoire récente (« une autre histoire ») du champ intellectuel. L’introduction et la conclusion qui les encadrent ne sont pas moins développées. L’auteur propose en outre, dans un court texte présenté en annexe, une interprétation audacieuse du discours de P. Bourdieu sur « l’opposition entre la science sociale et la politique », car celle-ci est à la fois « importante et problématique » pour l’argumentation développée dans Logique de la création. Il semble en effet suspect au jeune sociologue que P. Bourdieu, qu’il considère comme un agitateur modèle, ait pu chérir autant l’autonomie de la science. Mais le problème n’est qu’apparent, puisqu’en réalité cet attachement s’inscrivait dans « une stratégie de dénégation » destinée à dissimuler « la radicalité politique de sa démarche » (p. 261, 264).

P. Bourdieu, M. Foucault, G. Deleuze et J. Derrida sont les brillantes figures que G. de Lagasnerie oppose à la médiocrité de l’actuelle « recherche universitaire » en sciences humaines et sociales et en philosophie. Ce contraste sert à souligner le défaut de créativité scientifique et d’engagement intellectuel dont elle souffre, à cause notamment des efforts de ses membres pour consolider les frontières disciplinaires internes à « l’Université » – sans doute parce qu’il a décidé de « réduire au minimum le caractère local, particulier, singulier des phénomènes [évoqués] », l’auteur ne fait aucune distinction entre universités, et laisse entendre que les chercheurs des autres établissements sont logés à la même enseigne – et celle qui la sépare du reste du monde social. Articuler un appel à l’innovation à une stratégie de décloisonnement (ou de mobilité) est relativement courant aujourd’hui. Mais ce programme prend ici une tournure originale, car il est subordonné à un projet subversif. L’ambition de l’auteur est en effet de contribuer à un « processus de déréglementation et de dérégulation de l’Université et des espaces disciplinaires », afin de sauver la science de « l’organisation académique du savoir » (p. 35). Dans cette perspective, la professionnalisation a constitué une « régression » (p. 39) dans le sens où elle a produit un moule interdisant l’émergence de nouveaux Bourdieu, Deleuze, etc. (p. 47–48). Les biographies de Derrida ou Foucault montrent du reste déjà comment ils ont dû prendre leur distance avec...

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