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Reviewed by:
  • La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours
  • Quentin Deluermoz
François GUILLET. - La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours. Paris, Aubier, 2008, 428 pages. « Collection historique ».

On pourrait penser a priori que la pratique du duel, cet affrontement codifié de deux individus visant à défendre leur honneur, est caractéristique de l’Ancien Régime. En tous cas, qu’elle ne saurait correspondre au XIXe siècle, siècle de l’industrialisation, de l’affinement des tolérances à la violence, de l’accroissement de l’État et de la démocratisation. C’est un tort, comme le montre l’ouvrage de François Guillet : le XIXe siècle est au contraire le siècle de la plus grande diffusion et mise en pratique du duel. La dense démonstration qu’il propose comble donc une lacune importante de l’historiographie française, puisque le rituel a déjà fait l’objet de recherches pour les espaces anglo-saxons et germaniques. Dans le cadre d’une histoire à la fois sociale, culturelle et politique, l’auteur multiplie les angles d’approche et les méthodes d’analyse afin de cerner au mieux l’intensité de la pratique, ses déclinaisons sociales et ses significations. La démarche permet alors de déplacer la perspective sur certaines appréciations convenues du XIXe siècle français.

La pratique du duel connaît donc une intensification à la fin du XVIIIe siècle, mais les rythmes chronologiques sont subtils. Un croisement attentif des sources, souvent discrètes, montre que les duels se multiplient entre la fin du XVIIIe siècle et les années 1840, que leur fréquence s’atténue ensuite, avant de connaître un regain sous la Troisième République. Le mouvement cache des évolutions. La codification de l’affrontement, élément de définition essentiel, ne cesse de croître au cours du XIXe siècle, au point d’être travaillée dans les années 1880 par de nouvelles pratiques sportives comme l’escrime ou la savate. La violence des bretteurs s’estompe également, les issues fatales se raréfient peu à peu – la dernière mort recensée par duel date de 1903 – et la permanence des combats d’honneur, pourtant attisés par la publicité du régime médiatique, peut paraître ridicule dans les années 1900. Ils restent toutefois une mise en scène. Pratique dramatique par nature, le duel attire les curieux dès le début de la période et constitue un ressort narratif et littéraire très efficace. Avec l’affirmation de la culture de masse dans les années 1860, le thème devient ainsi parallèlement de plus en plus courant dans les journaux ou les romans et sa présence médiatique s’accroît. Le droit et la pratique judiciaire, forcément concernés par ces combats singuliers, participent à cette évolution globale, mais de manière nuancée. Partagés entre le rejet de l’héritage nobiliaire au nom de la pacification sociale et le respect de la liberté individuelle du citoyen pour la défense de son honneur, les débats législatifs du premier XIXe siècle échouent à faire voter une loi ou à inscrire le duel dans la liste des délits du code pénal de 1810. L’« offensive civilisatrice », pour reprendre les termes du débat anglo-saxon sur la question, vient de l’intérieur de l’institution judiciaire, avec l’arrêt Dupin du 29 avril 1837 qui fait jurisprudence. Mais il se heurte aux résistances des magistrats comme aux jurys, qui demeurent finalement sensibles à la définition de l’honneur alors en jeu. Aucune loi répressive n’est votée non plus à la fin du siècle, au nom de l’argument selon lequel la pratique s’éteint d’elle-même.

L’évolution répond donc à des dynamiques plurielles et croisées. L’ouvrage décrypte les moteurs sociaux et les usages de la pratique. Le monde militaire est par exemple un acteur...

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