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  • La défense à l’épreuve. Se faire l’avocat de causes illégitimes au XXe siècle
  • Maria Malatesta and Liora Israël

Ce numéro spécial du Mouvement social porte sur la manière dont des avocats ont assumé, dans des luttes politiques contemporaines et dans des pays démocratiques occidentaux, la défense de personnes considérées comme des ennemis publics, d’accusés désignés comme des terroristes ou des traîtres et souvent tenus pour indignes d’être défendus. Ce sont donc des cas limites, révélateurs de périodes politiques troublées ou de conflits plus spécifiques, qui constituent le matériau principal de ces articles. Ils composent une série non exhaustive mais chronologiquement ordonnée d’« ennemis publics » au XXe siècle, en restreignant toutefois ce terme à des opposants de nature politique. Nulle trace ici de tueur en série ou de criminel sexuel, même si certaines questions traitées dans le numéro pourraient sans peine être étendues à cette autre sorte d’accusés. Quoiqu’ils s’attaquent le plus souvent à des membres de la société civile, ce sont les ennemis des États, des accusateurs politiques, qui sont représentés dans ces articles, que ce soit par des militants nationalistes en Europe et dans les territoires en lutte pour leur indépendance, ou par des militants révolutionnaires, anarchistes ou brigadistes, de l’entre-deuxguerres aux années soixante-dix. Plusieurs pays européens sont directement concernés : la France – et son empire colonial –, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest et l’Irlande, ainsi que, de l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis, constituent autant d’exemples d’États contemporains qui seront ici étudiés.

Les luttes politiques, souvent accompagnées d’actes de violence, dont il s’agit dans ces procès ont, dans tous les cas, correspondu à une répression de ceux qui étaient tenus pour responsables des troubles et à une remise en cause simultanée des droits dont ils pouvaient bénéficier. À travers l’analyse de procès politiques, singuliers ou saisis dans une succession d’affaires comparables, nous abordons une tension propre au métier d’avocat, celle qui consiste à se faire un honneur de faire advenir le droit de chacun à être défendu, tout en assumant avec plus ou moins de difficulté la défense concrète de certains accusés. Ces derniers peuvent en effet être rétifs à la [End Page 3] justification de leurs actes, pour mieux les assumer ; être désignés a priori comme des parias ne méritant pas d’être défendus ; ou enfin refuser d’être défendus par des avocats, éventuellement considérés comme des agents de l’État qu’ils combattent. Ce sont dès lors les paradoxes et les polysémies mêmes du mot « défense » qui sont au cœur de notre réflexion, entre la défense comme fonction nécessaire au procès et la défense comme forme de justification ou d’excuse d’un acte, sans compter la défense dans son acception militaire, présente ici dans certains cas qui impliquent des forces armées. Les enjeux de cette explicitation rencontrent en effet plusieurs questions importantes des sciences sociales, plus spécifiquement en ce qui concerne les relations entre droit et politique.

La première renvoie à la figure classique du procès politique, récemment réexaminée dans un livre collectif important centré sur la forme « affaire » 1. Issu de l’analyse séminale d’Élisabeth Claverie sur la genèse de cette forme et notamment l’affaire Calas 2, et enrichi de l’approche développée par Luc Boltanski sur la question de la dénonciation puis de la critique 3, ce retour a toutefois cela de curieux qu’en singularisant analytiquement la forme affaire, il tend à perdre de vue la question du procès. Ainsi, si la première partie du titre de l’article d’Élisabeth Claverie indiquait « Procès, affaire, cause », celui de l’ouvrage devient « Affaires, scandales et grandes causes ». La substitution dans le titre du...

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