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  • La grève étudiante, un révélateur social
  • Diane Lamoureux (bio)

Le mouvement de grève étudiante qui a démarré sur un refus de la hausse des frais de scolarité autour du slogan « bloquons la hausse » a pris une coloration différente de celle qu’il avait au départ du fait de l’intransigeance du gouvernement et des effets politisants de l’action politique elle-même. Très rapidement, il est passé d’un mouvement étudiant à une lutte sociale, révélant des fractures politiques importantes dans la société québécoise. En même temps, parce que d’autres composantes sociales1 n’ont pas emboîté le pas aux associations étudiantes, il est demeuré un conflit étudiant.

La hausse des frais de scolarité n’a en aucun cas constitué un prétexte. Comme se plaisait à le rappeler la ministre (démissionnaire) Line Beauchamp, c’est avec une rare unanimité que la FECQ, la FEUQ et l’ASSÉ ont refusé de participer à des consultations bidons où il n’était pas question de remettre en cause la hausse, seulement d’en discuter les modalités d’application. En réitérant leur refus lors de la manifestation de novembre 2011, puis en déclenchant un mouvement de grève à partir de la mi-février, les étudiantes et étudiants ont clairement indiqué qu’ils refusaient la hausse des frais de scolarité. Ce faisant, ils s’inscrivaient dans la longue tradition de luttes étudiantes au Québec contre l’augmentation des frais de scolarité, ce qui explique qu’ils soient sensiblement moins élevés qu’ailleurs en Amérique du Nord.

Le mouvement de grève a d’ailleurs (presque) débuté avec une action de solidarité entre les étudiantEs et la Coalition contre la hausse des tarifs afin de bloquer la Tour de la Bourse, le 16 février 2012. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, le mouvement étudiant, en se solidarisant avec les groupes communautaires, féministes et syndicaux qui s’opposent notamment à la « taxe santé » uniforme et à la hausse des tarifs d’électricité, voulait montrer qu’il n’entendait pas défendre de supposés privilèges, mais s’opposer à une mesure sectorielle (la hausse des droits de scolarité) qui s’inscrit dans un mouvement plus large de démantèlement de la nature publique des services gouvernementaux et de tarification de ceux-ci selon le principe de « l’utilisateur / payeur ».

Dans cette grève, ce sont donc deux conceptions du système d’éducation et plus généralement de l’organisation sociale qui se sont affrontées. D’une part, la conception néolibérale, défendue par le gouvernement Charest, qui voit dans l’éducation un bien privé, procurant des avantages symboliques et matériels aux individus qui poursuivent des études, foncièrement utilitaire puisque l’éducation permet de contribuer à la création de richesse par le biais de l’occupation d’un emploi, bref un « investissement » qui profite d’abord et avant tout à l’agent individuel, ou, en d’autres termes, « un bien de capitalisation privée qui apporte des bénéfices essentiellement personnels » (Laval, 2004 : 115).

De l’autre, telle que défendue par les associations étudiantes, une conception citoyenne, qui voit dans l’éducation un service public, permettant de construire de la solidarité sociale et intergénérationnelle, bénéficiant à l’ensemble de la société et permettant de s’inscrire à la fois sur le marché du travail et dans l’activité citoyenne. On voit bien ce que les deux conceptions ont d’incompatible, d’où la difficulté de trouver une solution « simple » à ce qui est devenu au fil des mois un véritable conflit social.

La mobilisation étudiante, par son ampleur et sa durée, aidée en cela par l’intransigeance d’un gouvernement usé, gangrené par la corruption et qui a refusé tout débat sur la hausse des frais de scolarité, a fait apparaître clairement les enjeux liés à la transformation néolibérale de la société et a rendu perceptible le fait qu’il y avait des alternatives au projet néolibéral, même si l’on...

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