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  • Le Québec et la Génération X
  • Jean Levasseur
Kelly, Stéphane. À l’ombre du mur. Trajectoires et destin de la génération X. Montréal: Boréal, 2011. ISBN 9782764620984. 296 p.

Avec la plupart du temps des résultats qui vont de l’intéressant à l’impressionnant, les études littéraires ont pris, durant les années 1970, le tournant des autres disciplines humaines et ont décloisonné leurs champs d’analyse. Souvent, elles ne faisaient qu’officialiser une pratique autrement séculaire: on savait d’expérience devoir beaucoup perdre à lire Alexandre Dumas sans connaître l’histoire, Camus sans posséder des notions de philosophie, Duras sans saisir les préceptes de ces recherches formelles, présentes à son époque dans tous les domaines artistiques. La littérature du dernier quart de siècle a ainsi forcé le critique, le chercheur, l’enseignant, à accroître ses connaissances multidisciplinaires; syntaxe, linguistique et appareil littéraire ne suffisent plus. Dans ce contexte, on pourrait ainsi difficilement, de nos jours, croire pouvoir bien saisir, analyser et interpréter correctement un roman policier sans avoir acquis les bases des études médico-légales; la simple observation, aussi fine fût-elle, à la Sherlock Holmes, est aujourd’hui nettement insuffisante; et la science des (bons) romans de sciencefiction, pour ne mentionner que cet unique autre exemple parmi plusieurs, ne pourrait elle non plus se contenter d’un docteur Frankenstein ou d’un homme simplement invisible.

Il ne serait donc pas exagéré d’affirmer que l’on ne pourrait adéquatement comprendre la littérature québécoise de la nouvelle génération sans avoir lu cet important essai sociologique de Stéphane Kelly. D’entrée de jeu, l’auteur corrige le flou traditionnel des démographes et collègues sociologues: les baby-boomers ne sont désormais plus une, mais trois générations, ou plutôt trois étapes clairement définies de cette génération, jusqu’à maintenant trop souvent regroupées dans un amas tellement illogique qu’il en devint au fil des ans insultant pour quiconque avait vécu une portion de cette époque. Ainsi, selon Kelly, une première cohorte, la plus favorisée par l’essor économique, naît dans les années 1940; une seconde, les seconds boomers tels qu’il les appelle, voit le jour dans les années 1950, et elle joue un rôle plus effacé que sa prédécesseure dans sa société, vivant à plusieurs égards les problèmes de la troisième cohorte, la génération X, [End Page 275] qui naît au tournant des années 1960 et dont la vision du monde et le destin seront “aux antipodes de celui des premiers boomers” (15).

L’étude qui suit cette essentielle et très juste mise en contexte se découpe en six sections. Les deux premières, qui examinent l’enfance et l’âge adulte des “X,” sont sans doute les plus remarquables. On y retrouve une génération bercée par des parents qui profitent à plein des bienfaits des “Trente Glorieuses” (1945–1975) et qui, bien sûr, retransmettent cet optimisme et ce bonheur à leur progéniture . . . jusqu’à ce que cette dernière arrive à son tour sur le marché du travail, pour rencontrer d’un côté les crises économiques et de l’autre l’échec et les contrecoups du rêve collectif de la souveraineté. L’écrivain Jean Barbe, de toujours rébarbatif à l’idée de devenir captif d’une catégorie, ne peut alors s’empêcher d’admettre, à la lecture de Kelly, qu’il s’y était “parfaitement reconnu. Ça me fait mal de le dire.”1

Les quatre sections suivantes tiennent plus, l’auteur l’admet lui-même, de l’essai que de la sociologie. Curieusement qualifié par les critiques tantôt de réformiste, tantôt de conservateur, Kelly poursuit sans heurt sa réflexion socio-historique en examinant, entre autres, le destin et les trajectoires d’individus types de cette génération. Certes, on pourra s’interroger sur certaines métaphores employées par l’auteur pour cr...

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