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  • Zola et le génétique :torts de Comte et comptes de Tort
  • Valérie Narayana

Ce travail propose une réflexion sur Émile Zola et sa présence dans un ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à la génétique et la culture : Le Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution de Patrick Tort1. Il s'agira de voir en quoi le discours de Zola sur l'évolution opère une sorte de rupture avec la téléologie positiviste proposée par Auguste Comte. Cela dit, Zola retiendra une opposition essentielle à la perspective comtienne, notamment celle entre science et métaphysique. Or, dans les dernières décennies du siècle de l'écrivain, cette dichotomie sera mise en cause par certains philosophes qui se réclament de la sociologie, discipline annoncée par Comte, justement. Ces mêmes philosophes, lus par le romancier lors de la rédaction de ses derniers ouvrages, alimenteront la réflexion zolienne sur l'évolution du fait social. Que Tort ait jugé pertinent de reconnaître Zola dans son Dictionnaire est notable ; en effet, l'inclusion du romancier lui permet d'aborder, par le biais de la littérature, une question qu'il juge luimême capitale à la compréhension actuelle de Darwin : celle de la continuité entre l'état social et l'état de nature, telle qu'envisagée par le naturaliste anglais.

Ce travail veut examiner les intersections entre le legs philosophique de Comte et le positivisme réticent du dernier Zola qui questionne le fidéisme scientifique tout en hésitant à abandonner toute vision téléologique. Enfin, un coup d'œil jeté vers le Dictionnaire achèvera de montrer la complexité des enjeux qui sévissent dès qu'est abordé le devenir humain—lieu privilégié de méprises sur le darwinisme, comme s'acharne à le montrer Patrick Tort.

Somme en trois volumes, son Dictionnaire est lancé en 1996, soit cent ans après l'écriture de « La Science et le catholicisme », texte dans lequel le romancier réaffirme sa foi en la science2. Il n'aurait sûrement pas déplu à l'écrivain de se trouver, un siècle plus tard, entouré de scientifiques et de se voir accorder une vingtaine de pages dans un ouvrage qui en consacre moins à Buffon (treize pages), ou encore à Taine (trois pages).

Il ne s'agira pas ici de se pencher sur le naturalisme de Zola et son lien à l'évolutionnisme, problématique déjà abordée d'un angle littéraire et d'ailleurs explorée par Tort lui-même (Dictionnaire 4755-60)3. Plutôt, il s'agira d'examiner comment Zola, dans la dernière décennie de son siècle, se situe [End Page 10] face à ce qu'on appellera le génétique. Ici, la substantivation du terme renvoie au premier sens que lui donne Le Grand Dictionnaire universel Larousse du XIXe siècle où le mot est donné comme synonyme de « génésique », signifiant « Qui a rapport à la génération, aux fonctions de la génération »4. Cette définition, avec tout ce qu'elle a de vague (et tout ce qui la sépare de celle que Bateson proposera en 1906), fournira l'occasion d'explorer une période foisonnante mais trouble dans l'histoire intellectuelle française. Elle permettra de cerner la réaction d'un écrivain qui, longtemps partisan du positivisme, se trouve devant un public qui déchante face à la doctrine qui a inspiré une bonne partie de son œuvre5. Envisager Zola et sa réaction au génétique vers 1890-1900 revient à s'interroger sur la possibilité pour un tel écrivain de penser le devenir humain alors que règne une surdité théorique envers le darwinisme.

Avec le recul d'un siècle—et face aux apports évidents de la génétique mendélienne ou de la cladistique à la biologie—ceux qui s'opposent à la vision de Darwin semblent incarner l'irrationalité. Or, pour se rappeler l'audace de la pensée derrière The Origin of Species, il suffit de se pencher sur le contexte scientifique...

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