In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Proust dans la décadence
  • Christina Kkona
Schmid, Marion . Proust dans la décadence. Paris: Honoré Champion, 2008. Pp. 258. ISBN: 978-2-7453-1728-5

Traversant l'œuvre de Proust, des écrits de l'écolier à la Recherche, Marion Schmid questionne les affiliations de l'auteur à la décadence, affiliations inévitablement ambigües ou ambivalentes. D'où le recours constant à l'œuvre charnière d'Antoine Compagnon Proust entre deux siècles. L'auteur de la Recherche se révèle encore une fois situé dans l'entre-deux, entre "un romantisme tardif et un modernisme radical." Oscillant entre rejet et assimilation de la décadence, comprise tant comme mouvement littéraire et artistique de la seconde moitié du XIXème siècle que comme l'état de ce qui "périclite," l'œuvre proustienne appelle à une compréhension différente de sa modernité.

L'effort de Proust éphèbe à fonder une esthétique personnelle face à l'atmosphère littéraire hétéroclite de la fin du siècle et en particulier au décadentisme s'avère déjà ambivalent encore que sous l'influence pour ne pas dire le charme du comte Robert de Montesquiou. Le célèbre dandy se retrouve par deux fois romancé, d'abord sous les traits du comte des Esseintes dans À rebours d'Huysmans, œuvre qui marque le surgissement de la décadence et, ensuite, comme baron de Charlus dans la Recherche. Convoquant des œuvres oubliées, telles que le poème en prose "sur la psyché du comte," repris également par Françoise Leriche dans le volume Lettres, Marion Schmid entreprend un examen méticuleux de la place du pastiche dans l'œuvre de Proust, des exercices d'écolier au journal de Goncourt dans le Temps Retrouvé. A la fois flatteur et ironique, Proust assimile tout en rejetant le style décadent, surchargé et factice du comte, comme il fera par la suite pour d'autres auteurs de sa prédilection. C'est dans "À propos du style de Flaubert" qu'on trouve un résumé de sa tactique: "il faut faire un pastiche volontaire, pour pouvoir après cela, redevenir original, ne pas faire toute sa vie du pastiche involontaire."

Alors que le premier chapitre se consacre sur des écrits désormais réunis sous le titre "Essais et articles," le deuxième chapitre parcourt "Les plaisirs et les jours." Bien plus que les œuvres de maturité, ce recueil de nouvelles évoque le décadisme, à commencer par son titre paraphrasant celui d'Hésiode qui thématise justement le déclin de la Grèce moderne. Paratexte (préface, sous-titres, dédicaces, épigraphes, etc.), intertexte (Baudelaire, Mallarmé), pastiches de différents styles et thématiques (mort, amour impossible, sexualité coupable, profanation, théâtralisation du vice, tromperie) rattachent cette œuvre, qu'on pourrait qualifier d'expérimentale, à l'esthétique de la décadence moins pour louer ses mérites que pour souligner ses limites. Ces grands thèmes, bien plus approfondis, raffinés et complexes dans la Recherche, retrouvent ain-si leur provenance et leur cristallisation première dans le dialogue proustien avec la décadence.

L'anglophilie des décadents n'est pas sans rapport avec l'émergence de l'esthétisme et du célèbre dogme "art for art's sake" qu'on doit à A. C. Swinburne, dogme auquel adhèrent vite Walter Pater et Oscar Wilde pour proclamer "le caractère foncièrement inutile et arbitraire de l'œuvre d'art." On ne peut que regretter ici l'absence d'une discussion de l'esthétique de la grand-mère du narrateur de la Recherche qui, bien [End Page 346] qu'éloignée du pur esthétisme, n'est pas sans rappeler ce principe d'inutilité: "Même quand elle avait à faire à quelqu'un un cadeau dit utile, quand elle avait à donner un fauteuil, des couverts, une canne, elle les cherchait 'anciens,' comme si leur longue désuétude ayant effacé leur caractère d'utilité, ils paraissaient plutôt disposés pour nous raconter la vie des hommes d'autrefois que pour servir aux besoins de la nôtre." Quant aux...

pdf