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YYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYY LA DÉCHIRURE LINGUISTIQUE ET LES POÉTIQUES DU CHAOS-MONDE : LES GRANDS CHAOS D’EDOUARD GLISSANT MARILIA MARCHETTI Tout-Monde : la totalité réalisée des données connues et inconnues de nos univers, le sentiment qu’elles nous occupent infiniment, comme sur un plateau de théâtre que nos postures se partagent et où nous grandissons sans limites. E. Glissant, La cohée du Lamentin (87) CETTE réflexion d’Edouard Glissant condense, dans sa fulgurante simplicit é, tout l’enjeu de sa poétique. Le Tout-Monde nous traverse et nous comprend dans une opacité chargée d’espoir. Mon analyse se concentrera essentiellement sur le recueil Les Grands Chaos. Après avoir interrog é, dans un premier temps, la spécificité du vocabulaire glissantien et la compréhension, chez l’auteur, du langage comme secrète harmonie des langues, je chercherai à établir ensuite, dans la parole prophétique, le fondement qui sous-tend ces deux aspects. La poésie réalise ainsi, chez le poète, un “ retournement dans l’instant ”, qui projette la parole dans un lieu inaccessible au temps. 1. LA DÉCHIRURE LINGUISTIQUE Edouard Glissant affirme, dans L’intention poétique, qu’il a choisi le français comme langue poétique: Et on me dit : que faites-vous autre que parler la langue d’Occident ? Et de quoi parlezvous , sinon de cela que vous récusez ? – mais je ne récuse pas, j’établis corrélations. Et si je réponds que, comme ceux qui ne se reconnaissent pas (ne se sentent pas) français et YYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYY 57 qui utilisent la langue française, il me faut chercher à démêler mon affaire avec elle, on m’oppose que je suis plus français que je ne crois. Car bien sûr, ici encore, on est fondé à me révéler ce que je suis (43). Dans ses textes, la langue française a en effet une langue “ mixte ”, le créole, comme référent implicite. C’est précisément de cette rencontre que naît son langage. L ’atelier du poète vise ainsi un mélange des langues et se situe en défiance de l’usage habituel du langage. Le contact entre français et créole, dans la poésie de Glissant, est en effet complexe et s’identifie avec la jonction de l’utopique idée de système, qui caractérise l’univers français, avec la pensée “ archipélique ” des Antilles. Le poète se situe entre deux langues à statut différent: l’une dominante, le français. L ’autre, le créole, un “ parler insulaire ”, soitdisant “ inférieur ”, qu’il faudrait gommer, pour participer au “ magnifique mensonge de l’Occident ”, à l’“ universel ”. Or la langue française est traditionnellement imposée et le contact entre deux systèmes linguistiques d’inégale importance provoque un fonctionnement diglossique, dans l’acte de langage. La production du sens passe au contraire, chez l’auteur, par une amplification du code linguistique créole. Ce code trouve sa spécificité dans les techniques de l’oralité et renvoie à un espace référentiel qui est, pour nous, peu connu. Son écriture, qui ancre la parole dans l’espace culturel de l’origine, se définit alors comme une quête de la déchirure linguistique, et le poète, d’après les mots de Tardieu, est pareil à “ un homme dans une cité souterraine , cherchant les traces d’un monde azuré qui lui fut permis ”. Avons luné nos fourniments Imaginé que nous ondoie, levé à la voirie ardente Quel soleil, qui n’osait en la fosse d’aucune igname? (411) Le vocabulaire des Grands Chaos est difficile. Il est autonome par rapport à la langue française et utilise des séries lexicales qui ne sont pas répertoriées dans les dictionnaires français. Le poète se sert de moyens d’expressions insolites, pour souligner son écart vis-à-vis de la norme. Il paraît “ s’accommoder de l’indicible ” (83) – affirme-t-il dans Le discours antillais – et refuse de valoriser la compréhension. La démarche poétique privilégie ainsi le travail sur...

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