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  • Les Silences de Dieu :sur les voies perdues de la nostalgie
  • Daniel S. Larangé

Je nomme athée celui qui vit sans dieux, dont l'âme est sans foi, dont la conscience est exempte de peur, dont les mœurs ne s'appuient pas sur des rites, dont la pensée est sauve de toute référence à dieu, diable, démon, hallucination, amour, obsession, dont la mort est accessible à l'idée de suicide, dont l'après-mort est néant1.

L'Œuvre de Pascal Quignard développe une théologie de la fragmentation fondée sur les silences, l'ineffable et l'indicible. Le discours sur/de/à Dieu se situe dans ce qui ne peut être dit : il est le non-dit. Cette approche contemporaine d'une théologie de la négation, déjà formulée par les mystiques rhénans, s'appuie sur une tradition métaphysique rassemblant les penseurs de l'herméneutique et de l'altérité, notamment Ricœur, Levinas, Henry et Neher, et ceux de la postmodernité comme Lacan et Derrida. Quignard substitue-t-il à l'heure de la déconstruction des « grands récits » selon le terme de Lyotard, une théosigie (le silence) à la théologie (la parole, le discours) ? En interrogeant cette œuvre si hétérogène, il faut définir le discours spirituel autour des fragments de silences et de non-dits qui hantent les textes, qu'ils soient mythes, contes, souvenirs, anecdotes, récits.

« La ténèbre plus que lumineuse du silence2 »

C'est dans un rapport complexe et ambigu à la parole que Quignard devient écrivain. Ses œuvres expriment le manque, l'absence et le vide, qui indiquent pourtant l'espace et le temps d'une parole absente ou absconde. Ainsi, le sixième volume de Dernier Royaume commence en ces termes :

J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu'est-ce qu'un littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. Ils tremblent toujours un peu sous la forme étrange qu'ils finissent pourtant par habiter. Ils ne disent ni ne cachent : ils font signe sans repos.

(Barque 7)

La littérature se conçoit ici comme quête du mot fuyant. La recherche est d'abord définie en termes existentiels (« J'aurai passé ma vie ») et l'usage du futur antérieur est significatif : l'avenir du littéraire-de l'écriture liée à la lecture3-est orienté vers le passé, l'origine, le chaos primordial antérieur à la parole, de cette « image [qui] manque dans l'âme »4. Dernier Royaume, dans [End Page 120] l'ensemble, s'articule autour de la déclinaison de l'antériorité qui s'avère intériorité. En se retournant sur son activité de scripteur, Quignard montre que la littérature interroge en premier lieu l'écrivain dans l'écriture et le lecteur dans la lecture. La circonvolution de sa réflexion retourne l'écriture sur elle-même, comme réflexion de l'homme autour de l'écrivain.

La voie d'un « futur antérieur » est explicitement celle du voyage dans le temps et l'espace, de l'exploration d'une géographie intérieure, d'une descente en enfer avant que naisse la parole. En ce sens, sa voix se fait nostalgique, posant l'avenir en termes de retour. L'état mélancolique enferme l'être dans un éternel-retour5 : « Une mélancolie catastrophique précède la conscience, repliant l'âme sur elle en circuit fermé. J'évoque le monde interne avant qu'il soit touché par le langage sensé, acquis, significatif, national. » (Barque 64)

Dès lors, le rapport au présent s'explique par la fascination « dépressive » que la nostalgie du « déjà plus » et du retrait de l'être dans le réel permet d'éprouver : « (Une absence dans un vide : le tout d'une effroyable violence. Ce qu'on nommait jadis mélancolie, de nos jours dépression, n'est "rien" que la reconnaissance de cela : fascination du réel. Encore que le réel n'ait rien pour fasciner. Aussi...

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