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  • La Peinture, pré-texte à l'écriture chez Pascal Quignard
  • Agnès Cousin de Ravel

À la suite de Diderot, de Baudelaire, de Proust, de Claudel, de Malraux, Pascal Quignard est un observateur, un lecteur éclairé et vigilant de la peinture, « cette langue du monde où on regarde » comme le précise Pierre Skira1. Dans la diversité de ses écrits sur la peinture, il soumet le lecteur à une sorte de diffraction du regard. Que manifeste, en effet, sa collection éclectique de très nombreuses images peintes ? Les fresques de Pompéi dans Le Sexe et l'effroi2, les tableaux de Georges de La Tour dans La Nuit et le silence3 ? Ou ceux de Hans Bellmer gravés par Cécile Reims4 ? Ou encore, l'hétérogénéité des œuvres reproduites dans La Nuit sexuelle5, les pastels de Skira dans Les Septante et Tondo6 ? Rien ne les rapproche, sauf à les penser du point de vue que Quignard adopte. Pour lui, les tableaux représentés dans ces ouvrages (en particulier les fresques antiques) disent l'attache mythique et sexuelle de la peinture. Plus encore, ils donnent vie et chair, dans son œuvre, à un discours sur l'image (peinte, sexuelle, hallucinogène, onirique). Leur univocité est à chercher dans la parole qu'il leur adresse. Ainsi se pose la question de l'inscription dans son œuvre de son discours sur la peinture, et, à partir d'elle, sur l'image7.

Quignard, dans un double mouvement, affirme les pouvoirs de l'image et la nécessité d'en déjouer la fascination par l'écriture. Pour lui, l'image peinte, liée à la sexualité et à la mort, fascine. Elle est la trace de l'image qui manque et revient dans les rêves, en amont de la voix de la mère entendue avant la naissance, à l'origine de l'art, entre visible et invisible, entre réel et imaginaire. Elle entretient avec le langage, quand celui-ci la pénètre au sens où selon Merleau-Ponty le peintre pénètre le réel par sa toile8, un lien complexe que l'écrivain ne cesse d'interpréter. Analogon de la lecture, dans la mesure où elle en emprunte les signifiants, elle est « la manière noire9 » pour écrire, elle en est le révélateur, la mise en ordre et le prétexte. Ces considérations conduisent à penser la problématique de l'image selon trois directions : le rapport entre le discours et l'image ; la représentation en peinture ; et la maîtrise de l'image par la lecture, la peinture et l'écriture.

L'image peinte et le discours

Les liens entre peinture et littérature font l'objet de débats depuis la Renaissance. S'il ne s'agit pas de comparer les arts ou de les hiérarchiser, il [End Page 48] est possible de réfléchir à leurs pouvoirs respectifs. Cela pose la question de comment s'articulent les discours pictural et littéraire et comment ce dernier, dans l'après-coup, rend compte de ce qui peut être à l'origine de chaque œuvre peinte. Il y a trois aspects à considérer : le premier est l'hétérogénéité des deux discours. Quignard sait qu'aucun discours sur les œuvres peintes ne peut en restituer la présence, la matière, les reliefs, la sensorialité. L'image matérielle du tableau est toujours plus dense, plus présente, plus énigmatique que sa représentation linguistique. Aussi, dans son dialogue avec des peintres contemporains, ne commente-t-il pas leurs tableaux. Son travail à leurs côtés semble être le fruit d'un accord secret, d'une entente en deçà des mots, la réponse à un appel. Dans l'ouvrage qu'il consacre à Cécile Reims, il évoque sa vie, sa maison, son travail. Il la peint dans son environnement quotidien et ses doutes créateurs. Il lui donne la parole (Cécile Reims 79-92). C'est à la suite d'une observation attentive des pastels de Skira qu'il a écrit Les Septante et Tondo. En 2005, alors que Marie Morel peignait un tableau intitul...

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