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  • Introduction
  • Jean-Louis Pautrot

Il n'est plus besoin de présenter Pascal Quignard. Je m'en suis rendu compte lorsqu'un de mes anciens professeurs aux États-Unis, spécialiste de Proust et Céline, a récemment constaté, comme une évidence, sa place indiscutable parmi les écrivains. Pourtant, en 1992, quand sortait Tous les matins du monde, ou même à la fin des années quatre-vingt-dix, peu d'universitaires prêtaient attention à cette œuvre paradoxale qui se niait en tant que telle, alors qu'elle se tissait de livre en livre, chacun aussi époustouflant que le précédent. Quignard, qui écrit depuis 1968, est devenu, en l'espace des vingt dernières années, l'un des auteurs vivants les plus unanimement reconnus de la littérature d'expression française.

L'exégèse de l'œuvre a connu plusieurs phases. Jusque vers 1990, rares étaient les analystes qui, comme Jean-Pierre Richard, pressentaient son ampleur. Cela changea après Tous les matins du monde, porté à l'écran avec grand succès, et après que Quignard publia une série de livres de portée à la fois philosophique, anthropologique, contemplative et poétique, repensant la littérature et les arts : Le Sexe et l'effroi (1994), Rhétorique spéculative (1995), La Nuit et le silence (1995), La Haine de la musique (1996), et Vie secrète (1998). L'étude de Bruno Blanckeman1, (2000), la monographie de Chantal Lapeyre-Desmaison accompagnée d'un livre d'entretiens avec l'auteur2, ouvrirent la deuxième phase exégétique, laquelle s'intéressa à repérer les grandes topiques, à situer Quignard dans le paysage de la littérature moderne, et à indiquer ses parentés les plus visibles, à commencer par la pensée structuraliste et poststructuraliste. Depuis quelques années se développe une troisième phase, où les analystes poussent plus loin la documentation des sources et influences, et précisent à quel point Quignard dialogue d'une part avec la pensée récente (Blanchot, Bataille, Lacan, Lévi-Strauss, etc.), et d'autre part est imprégné d'auteurs classiques et anciens, surtout grecs et latins (les travaux de Bénédicte Gorillot sont un exemple de cartographie de l'ancrage antique). L'étude de Bernard Vouilloux3, dont un compte-rendu est offert dans ce volume, sur le statut de l'image chez Quignard, constitue un apport notable parce qu'elle combine les aspects contemporain et antique.

Avec ce présent numéro nous avons voulu montrer trois choses. D'abord que l'exégèse s'approfondit du côté des sources moins aisément décelables. Ainsi, l'essai de Camilo Bogoya identifie les écrits du sénateur romain Symmaque comme source occultée des Tablettes de buis d'Apronenia Avitia ; celui [End Page 1] de Bénédicte Gorillot redéfinit la notion de « roman latin » invoquée par Quignard ; celui de Cristina Álvares documente le dialogue implicite de la pensée de Quignard avec celle de René Girard ; Quignard lui-même confie à Chrystelle Claude comment sont nés ses personnages latins. Ensuite nous avons tenu à enrichir l'exégèse des livres récents ou peu encore analysés : les essais de Bruno Thibault sur Villa Amalia, de Chantal Lapeyre-Desmaison sur La Nuit sexuelle, d'Agnès Cousin examinant les ouvrages sur la peinture (y compris les collaborations avec des peintres), de Gaspard Turin sur l'humour dans Dernier Royaume, élargissent les perspectives critiques. Enfin ce numéro confirme qu'il existe désormais une active exégèse nord-américaine : avec l'essai de Bruno Thibault, la contribution de John Hamilton sur l'aoriste comme aspect vital de l'écriture, celle de Joseph Acquisto situant l'approche du silence dans la lignée de la modernité avant-gardiste, et celle de Daniel Larangé abordant la vaste question théologique chez un auteur qui se déclare athée, témoignent que Quignard est aussi désormais un « classique » contemporain de ce côté de l'Atlantique.

Jean-Louis Pautrot
Saint Louis University

Notes

1. Les Récits indécidables : Jean Echenoz, Hervé Guibert...

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