La justice pénale, entre rituel et management (review)

Cet ouvrage propose de repenser le rituel de la justice pénale. L’idée de rituel est ici entendue dans son sens le plus général : les manières de rendre la justice, selon quelles formes, avec quel langage, produisant quels types de peines. L’idée de « repenser » cette justice à l’œuvre tient à l’ambition de l’auteur : mener une réflexion sur les politiques criminelles de ces cinquante dernières années, interroger le sens des évolutions constatées, les replacer dans leur cadre politique socio historique. Cet exercice produit une analyse critique, une grille d’interprétation d’une signification dominante : ces changements se mènent au nom de la logique managériale, prônant efficacité du rendement et introduisant une dynamique de concurrence généralisée.

L’ouvrage est construit à partir du recueil d’articles écrits ces trois dernières années en des lieux divers, allant du Collège de France à des colloques pluridisciplinaires ou professionnels. Jean Danet a exercé le métier d’avocat pendant vingt ans et reste très en proximité avec le milieu professionnel, bien qu’étant aujourd’hui un universitaire de renom. Ouvert sur les disciplines des sciences sociales de façon générale, il convoque, dans cette compréhension des significations des évolutions en cours, tant la science juridique la plus technicienne que l’histoire, la sociologie ou la psychanalyse. De fait, l’ensemble est hétérogène et pourra être lu de façon très différente selon le lecteur. Certains pourront regretter que le propos ne soit pas plus disciplinaire; d’autres apprécieront cette vision multidisciplinaire, quitte à survoler certains textes trop loin de ses propres références.

Les juristes y trouveront matière à réfléchir les évolutions des fonctions, comme celle du juge d’instruction, mais aussi la concurrence des procédures, ou encore la prescription de la peine, opposée à la prescription de l’action publique. Les réformes, actuelles ou souhaitables, sont discutées : réforme de la carte judiciaire, des modes de défense pénale, de l’évolution du statut de la parole durant le procès, de l’introduction de la visioconférence.

Le sociologue, ou tout simplement le citoyen, sera plus particulièrement intéressé par la question de l’évolution des enjeux autour des questions de responsabilité et de dangerosité, traitées sous différents angles tout au long de l’ouvrage. Pour comprendre la dangerosité en tant que « retour d’une vieille tentation », l’auteur repart des années cinquante. A l’époque, les propositions de « la défense sociale nouvelle » sont de limiter le recours à la prison par une surveillance post pénale, tant sociale que par la psychothérapie. L’insuccès de ces projets est mis en perspective avec l’évolution parallèle de la psychiatrie. Fondamentalement, la pénalité moderne donne un droit à la société sur les individus non plus pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont : « l’individu dangereux comme virtualité d’actes ». Aujourd’hui, montre l’auteur, le risque de récidive reprend exactement ces termes. Analysant les logiques contradictoires de la gravité et du risque, interrogeant les liens entre responsabilité et dangerosité, l’auteur montre un double mouvement : l’expertise psychiatrique comme outil d’atténuation de la peine, mais aussi l’expertise psychiatrique qui produit une pathologisation du crime et du criminel. Cette forme, ancienne, a renouvelé tant ses discours que ses pratiques, par exemple avec la possibilité actuelle, pour les avocats des victimes, de plaider une « incapacité partielle permanente psychique » . . . . C’est à dire quelque chose de totalement flou et relevant du plus grand arbitraire.

D’autres dimensions, comme celles développées dans la quatrième partie de l’ouvrage, traitant des enjeux autour du corps, de la mort et du sexe, renouvellent aussi les rapports entre justice pénale et dynamique sociale. Les évolutions législatives sur les stupéfiants et sur la prostitution...