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  • Ethnolitterature: survie de l’ethnographe ou du romancier?
  • Mireille Rosello

L’humain n’est peut-être pas “l’image de l’homme” mais aujourd hui, la trame sans cesse recommencée de ces opacités consenties.

(Glissant 1981: 245)

La Femme la plus riche du Yorkshire est un des tout derniers textes de Fouad Laroui, qui, selon les contextes où il intervient, se définit comme un poète ou un romancier, un critique littéraire ou un professeur de littérature, mais aussi un économiste ou un ingénieur. Ce texte se sert de la littérature pour se discréditer une certaine forme d’ethnographie et pour repérer le déclin de certaines formes de littérature. Je me propose donc de tester l’hypothèse selon laquelle les questions de “survie,” qui sont au centre de ce recueil, peuvent se penser en termes de tactiques de parasitage entre plusieurs disciplines ou plusieurs genres. Lorsque deux types de genres ou de disciplines sont si étroitement imbriqués qu’ils ne font qu’un, quel genre “survit,” quelles nouvelles définitions sont-elles implicitement ou explicitement proposées? Quelles valeurs culturelles ou politiques sont-elles remises en cause ou au contraire réaffirmées?

Ce livre de fiction fermement ancré dans un contexte globalisé met en scène la mort d’un certain type d’essai ethnographique et de littérature. Ceci dit, la métaphore organique que la critique littéraire de la fin du vingtième siècle affectionnait est un raccourci qu’il est prudent de traduire en termes théoriques ou même politiques. Lorsque Roland Barthes, en 1968, annonce la “mort de l’auteur,” son but est de critiquer les analyses qui valorisent l’intentionnalité ou fétichisent la personne de l’auteur dont on oublie qu’il est une construction de la modernité (“La Mort de l’auteur” 51–67). Si l’auteur est “mort,” une des conséquences est que la lecture et la littérature dans son ensemble survivent en tant [End Page 131] qu’objet de l’institution académique: “l’enseignement de la littérature est pour moi presque tautologique. La littérature c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout” (“Réflexion sur un manuel” 59). Lorsque Fredric Jameson parle de la “mort du sujet” bourgeois, autonome, ou de l’individu, il remarque qu’il y a lieu de se demander si ce sujet-là a jamais existé historiquement ou si la disparition annoncée par les postmodernistes discrédite en fait un mythe: “a subject never existed in the first place but constituted something like an ideological mirage” (Jameson 15). En d’autres termes, la “mort” d’une entité s’annonce comme un changement de paradigme qui modifie certaines pratiques culturelles mais aussi les frontières disciplinaires ou idéologiques qui ont contribué à justifier une méthodologie et un objet d’étude.

Le livre de Laroui nous invite à nous demander quelles définitions de “la” littérature globalisée sont naturalisées, ou critiquées, ou pastichées dans un contexte géographique et historique où le critique littéraire se présente comme un ethnographe de fiction. En d’autres termes, ce roman n’est ni moderne ni postmoderne, ni même postcolonial. Sans jamais les citer, Laroui se sert des théories qui, à la fin du vingtième siècle, ont critiqué la posture condescendante de l’occidental rationnel observateur du monde et il se dote d’une structure textuelle qui met sous rature ses propres observations (Geertz; Clifford et Marcus; Marcus et Fisher). Le cadre narratif nous empêche en effet de traiter le héros ethnologue comme une autorité. Le narrateur nous explique que son protagoniste a profité d’un séjour professionnel dans le Yorkshire (il a obtenu une bourse de recherche en économétrie) pour “étudier l’autochtone” (8). Le rôle de la littérature fait partie des objets qu’il feint d’observer en ethnologue mais, quelles que soient les conclusions qu’il tire et auxquels les lecteurs pourront réfléchir, elles seront biaisées ou mises sous rature par ce parti pris d...

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