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  • Sur le sommeil. Ou plutôt sur les rêves
  • Hervé Guillemain
Gabriel Tarde.- Sur le sommeil. Ou plutôt sur les rêves, éd. par Jacqueline Carroy et Louise Salmon. Paris, Éditions BHMS, 2009, 236 p.

Jacqueline Carroy et Louise Salmon proposent une édition de cinq textes inédits de Gabriel Tarde (1843–1904). L’ouvrage comprend deux essais historiques, l’un sur la psychologie des rêves au XIXe siècle, l’autre sur l’engagement politique de celui qui est devenu une référence en matière de criminologie 3. Ces écrits datés du début des années 1870 sont en fait antérieurs à ce que l’on pourrait nommer le « moment Tarde ». Professeur de philosophie au Collège de France (1900), l’homme n’acquiert en effet une audience réelle que dans les années 1880, par le biais notamment d’articles savants publiés dans La Revue philosophique. Le jeune magistrat de province qui vit alors avec sa mère à Sarlat, sa ville natale, n’a écrit en 1870 que quelques articles dans les journaux locaux. Mais il rédige depuis 1862, sur le modèle de Maine de Biran, un de ses inspirateurs, un journal d’auto-analyse psychologique à visée expérimentale. Issu du fonds du Centre d’histoire de Sciences Po, ce manuscrit inédit se présente sous la forme d’un nocturnal mêlant récits et analyses de rêves éprouvés de mars 1870 à juillet 1872.

Comme l’indique le titre de l’ouvrage, il n’est pas question ici des états de sommeil mais d’un objet – le songe – qui suscite de nouvelles questions au XIXe siècle : à quoi sert le rêve ? Pourquoi rêvons-nous ? Avant que Sigmund Freud ne fasse de l’interprétation des songes la clé de voûte d’une nouvelle pratique thérapeutique et d’une introspection révolutionnaire 4, le XIXe siècle est aussi à la recherche d’une science positive des rêves. Cette quête débouche sur une collecte inédite de récits, le recueil de rêves devenant un genre sur lequel s’arrête Jacqueline Carroy dans cet ouvrage. Ce nouveau genre est dans un premier temps alimenté par des médecins ou des philosophes. Les Idéologues comme Cabanis font du rêve une expression cérébrale surgie en écho des tréfonds organiques, des mouvements intestinaux, des sensations extérieures. Symbole de cette transformation de l’organique en psychique, le rêve érotique pensé en lien avec les sensations génitales, nourrit les écrits de ces médecins du premier XIXe siècle. Cette tentative de construction d’une psychophysiologie du rêve subsiste avec l’interprétation spiritualiste d’un Maine de Biran. Un fonctionnement automatique du psychisme, producteur de rêves, est mis en valeur par ces auteurs. [End Page 186]

Dans un second temps, des amateurs éclairés font aussi du rêve un objet d’étude et un moyen d’introspection. Ceux-ci notent régulièrement leurs souvenirs au réveil, élaborent leur propre recueil de rêves, publient quelques récits, conversent sur le sujet avec leurs contemporains. Le Sommeil et les rêves d’Alfred Maury, publié en 1861, fait figure d’œuvre princeps dans ce corpus des érudits rêveurs progressivement exhumé par Jacqueline Carroy 5. L’assimilation par Maury de certains rêves à des crimes imaginaires qui produisent la honte de leurs auteurs est bien connue de Freud, mais elle nourrit dès les années 1870 la réflexion de ses contemporains, particulièrement celle d’un public cultivé féru de psychologie. Hippolyte Taine est l’un d’eux et incite chacun à constituer son propre recueil de rêves. Dans les années 1870, on rêve donc sur le modèle de Maury, et Tarde lui doit beaucoup dans sa quête de l’origine des songes. Mais le jeune magistrat apporte aussi du neuf dans cette manière d’analyser les rêves.

Le journal de Tarde s’apparente en effet à un « laboratoire à domicile » autant qu’à une...

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