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Reviewed by:
  • Le Marché des défunts
  • Emmanuel Bellanger
Pascale Trompette.- Le Marché des défunts. Paris, Presses de Sciences Po, 2008, 300 p. « Gouvernance ».

L’ouvrage de Pascale Trompette, Le Marché des défunts, est la synthèse de dix années de recherches sur les pompes funèbres en France. Ce livre de sociologie économique est imprégné des leçons de l’histoire et de l’ethnologie. Dans une première partie, l’auteur met en perspective plusieurs siècles d’histoire funéraire, du Moyen Âge à la fin du XXe siècle, du monopole des institutions religieuses et communales à la libéralisation, en 1993, de ce secteur économique singulier. Dans un second temps, elle s’attache à observer de l’intérieur le marché de la mort. Elle scrute le parcours du défunt, la relation marchande et le « face-à-face commercial » entre les familles passées du statut d’administré à celui de client. Elle décrit les procédés d’une « économie de la captation » des clientèles par les entrepreneurs, des opérateurs privés ou [End Page 175] publics (les régies municipales) du marché de la mort. Son livre s’achève sur l’analyse des effets structurants de dix années de libéralisation d’une marchandise pas comme les autres, encadrée par des dispositifs de régulations économiques, professionnelles et réglementaires qui interagissent sur le marché funéraire.

La restitution historique du cadre juridique et politique des pompes funèbres est d’une grande clarté. Elle révèle la longue bataille que les défenseurs du monopole livrent aux partisans de la libre concurrence. Le texte met en lumière quatre grandes ruptures. La première, sous la Révolution française, consacre la fin des privilèges des corporations et confréries et impose le principe de liberté des inhumations. La seconde sous le régime du Concordat résonne comme une régression politique avec le retour en grâce des fabriques et consistoires qui monopolisent, par décret du 23 prairial an XII, le service et les fournitures des pompes funèbres. La troisième, la loi fondamentale du 28 décembre 1904, cantonne le religieux au cérémonial et fait du monopole, dans le contexte passionnel de séparation des Églises et de l’État, un véritable service public confié aux municipalités. La quatrième rupture, enfin, coïncide avec l’adoption de la loi du 8 janvier 1993 qui met fin à deux siècles de conflits autour de l’appropriation du monopole funéraire.

Sur la longue durée, Pascale Trompette montre comment institutions et entrepreneurs se sont disputé et partagé la gestion de la mort. La municipalisation de l’activité funéraire n’a pas empêché les opérateurs privés de partir « à la conquête du marché ». Une compagnie, les Pompes funèbres générales (PFG), fondée en 1844, exerce, à la faveur des concessions qu’elle obtient des fabriques et des communes, une position dominante, si ce n’est dans certaines régions un quasi-monopole sur le marché funéraire. Pascale Trompette décrit « le règne des PFG » qui nourrit la contestation des autres entreprises, le plus souvent des PME indépendantes regroupées en chambre syndicale qui militent pour la fin du monopole. Cette fin est actée avec l’entrée en vigueur de la loi dite « loi Sueur », du nom du maire d’Orléans, qui établit en 1993 la liberté d’exercer le service des funérailles, tout en imposant de nouvelles régulations réglementaires et concurrentielles.

Dans ce récit, Pascale Trompette consacre des développements édifiants au « déclin progressif de l’ostentation mortuaire ». Elle explique cette conversion par la généralisation dans les années 1960 de la motorisation des convois qui fait disparaître les corbillards à traction animale et par la suppression, à la suite du concile de Vatican II (1962–1965), du régime des classes funéraires qui distinguait les défunts aisés des indigents. Les tentures habillant le domicile disparaissent, « le monument funéraire bourgeois se démocratise...

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